Leonora Bisagno
Artiste plasticienne
« Le travail de Leonora Bisagno explore avec curiosité les notions de trace et de mémoire, et tisse des liens entre présence et absence. Ses bricolages de fragments initient un parcours relationnel et identitaire à travers une heuristique du possible, dont l’impureté procédurale se prête à la nécessité de la découverte »
(Nathalie Dibbern)
Après des études de photographie et d’art contemporain en Italie, Leonora Bisagno, depuis 2005, développe sa recherche artistique comme quête permanente de l’appréhension du monde et de réflexion autour de l’image. Elle travaille avec différents médias : photographie, installation, vidéo, dessin et performance.
Ses expositions se construisent comme un ensemble d’éléments hétérogènes liés entre eux à travers un jeu sensible des correspondances créant une vision originelle, à la fois nostalgique et ironique. Dans l’univers des petites choses, sa démarche se caractérise par la fragmentation, l’assemblage et le non-sens à la recherche des révélations éphémères et imprévues.
Cosmogonies random
Le laboratoire conceptuel de Leonora Bisagno exprime la tentative d’une constante réécriture de l’univers sensible, sans aucune aspiration à l’achèvement et sans le conditionnement au sceau taxinomique. C’est une cosmogonie qui part toujours de la matière et de son désordre, qui interprète l’état d’entropie d’un édifice, ou de la planète, ou du système univers, comme une condition du chaos créatif, ou même comme occasion de connaissance qui peut arriver, comme déclare l’artiste, « dans les révélations et dans les interstices ». Entre les plis de cette matière continue, qui crée l’origine et la dispersion, la pureté et la gangrène, des rencontres inattendues se produisent: conjonctions qui peuvent ôter le degré aseptique du savoir, le traduisant émotionnellement dans l’acte d’un dévoilement. Cette attitude demande toujours un effort supplémentaire qui permet de retenir, comme on le verra, un monde entier dans un filet de lumière. Une grande partie de ce travail évoque instruments et processus de connaissance, d’observation scientifique, d’enregistrement et de transmission du savoir. Sur le plan méthodologique, Leonora met en acte la volonté précise de déconstruire les idiomes reconnus de la littérature scientifique et dans ce cas spécifique du lexique géographique. Ce principe dominant se retrouve dans de nombreux travaux conçus durant la dernière année, à commencer par Paesi vari, (pays variés) qui bouleverse l’identification scolaire des frontières politiques des nations à travers le simple renversement recto/verso de la silhouette découpée dans un atlas. La falsification évidente du profil reflète la labilité des noms des pays et de la position géopolitique qu’ils occupent. La simple action de découpage et de renversement devient règle générale. Elle s’énonce et s’amplifie dans les modalités correspondantes de soustraction et de taille des références établies. Le procédé expérimental devient méthodologique au fur et à mesure de son application à de nouveaux domaines: dans Planètes, Leonora ose la réinvention de l’astronomie incluant des planètes imaginaires à partir d’éphémères gouttes d’eau déposées sur une plante. Ainsi agrandies, découpées, l’interrogation reste ouverte: est-ce la terre vue de haut, ou est-ce le haut, le haut sidéral vu de la terre? La pièce Terres approfondit la révision de l’imaginaire cartographique et poursuit cette opération d’enquête des mécanismes descriptifs de notre planète: la symbologie adoptée dans les légendes traditionnelles (dont les couleurs varient selon différentes altitudes ou géologies) est remplacée par la matière qu’elle devrait décrire graphiquement en présentant à l’observateur des échantillons concrets de cette terre même (celle-ci se fait temporairement adhérente au support magnétique grâce à la force des composants ferreux présents dans chaque typologie pigmentaire). Dans le passage d’objet à instrument, la terre rend complètement vain les systèmes auquel se réfère le travail et le tout (objet, dispositif et sa surprenante métamorphose) reste sans correspondance.Le traitement d’un système clos, qui peut être soit une géographie imaginaire ou un code linguistique, embrasse des références qui se révèlent associations lyriques: la précieuse fragilité de l’eau retenue sur les plantes, l’adhésion mystérieuse, maternelle aussi bien que cruelle des propriétés magnétiques, mais encore, le parcours, extrait et isolé pour n’en représenter que lui même, un système artériel, ayant déjà miraculeusement changé de substance. Le travail de Leonora participe autant de la fantaisie ailée des compilateurs médiévaux, inventeurs de régions et d’espèces jamais vues pour remplir les zones grises du monde connu, que de la compulsion à retenir et à classifier, typique des sensibilités les plus aigues de la contemporanéité, comme The man who never threw anything away raconté par Ilya Kabakov ou le Gerhard Richter de Atlas. Mais la dimension plus authentique est peut-être celle de l’Aleph borgésien, obscurcit dans les mots de l’artiste: « Une photo me suffit. Et longtemps. Les images se trouvent. Je les recueille, elles me plaisent, je les aime. Mais une seule photo pourrait suffire pour se perdre longtemps, elle pourrait contenter une vie ».Pietro Gaglianò, décembre 2011
http://www.leonorabisagno.com