Laurianne Bixhain
artiste plasticienne et photographe
Electric Bathing | Les fontaines magiques surgissent à la tombée de la nuit, situées à l'extrémité d'un gigantesque complexe sportif, culturel et touristique, elles font face à la ville de Barcelone. Les bassins sont animés de milles jets d'eau sauteurs. Les spectateurs gravitent autour du bassin centrale, exaltés, ils s'enlacent et soupirent. Les couleurs sont délirantes, elles sont encore plus lumineuses que celles qui apparaissent sur des écrans. Éblouis, enveloppés d'une nappe de brume – « filet impalpable et mouillé »* – les spectateurs absorbent docilement la lumière.
*Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, Flammarion, Paris, 1998, p. 186
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« L’œuvre d’art est un message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés qui coexistent en un signifiant. » Umberto Eco L’œuvre ouverte, 1962
Cette ambiguïté dont parle Eco, n’est pas le fruit du hasard, mais elle participe d’une fin explicite de l’œuvre ou, dans le cas présent, la situation. La situation que Lauriane Bixhain propose dans les salles du centre d’art Nei Liicht est constituée, entre autres, de matériaux qui sont connotés (p.ex. la toile synthétique Kway), de photographies qui semblent faire partie d’un rébus visuel, plus que d’une narration linéaire et de mises en relation limpides mais paradoxalement mystérieuses d’ambiances : une ambiguïté particulière de Bathing by Electric Light. (Ce titre fait référence à la digue de Coney Island qui bénéficiait d’un éclairage électrique permettant la baignade nocturne, déjà à la Belle Epoque.)
Le langage visuel et le parcours de cette exposition permettent une approche imaginative et libre du spectateur qui les regarde. Son regard peut compléter et continuer l’accrochage, l’installation et la projection. Ce mode de présentation et d’exposition pose les bases d’un principe moderne de l’appréhension de l’œuvre par le spectateur. Il ne s’agit pas d’un travail organique, d’une « œuvre en-soi » mais d’une composition modulaire, dont la clarté apparente demande à être complété par le visiteur. A partir de là, les structures et les superstructures sont multiples :
Laurianne Bixhain s’est rendue à Barcelone pour y visiter des lieux symboliques de la capitale catalane. Sur deux des tirages photographiques de l’exposition on retrouve des constructions qui ont été réalisées pour des évènements temporaires comme les jeux olympiques de 1992 ou l’exposition universelle de 1929. La piscine olympique Bernat Picornell et les fontaines magiques de Montjuïc sont des lieux emblématiques de cette ville. Lauriane Bixhain en fait le sujet de deux images qui traduisent le vécu d’une ambiance. Ce sont des éléments d’une approche sensuelle dont l’image photographique ne peut fixer qu’un instant précis et un point de vue choisi. En 1996 Sherry Levine évoquait le monde actuel où il n’y a plus de création originale possible, voire nécessaire : « The world is filled to suffocating. Man has placed his token on every stone. Every word, every image, is leased and mortgaged. We know that a picture is but a space in which a variety of images, none of them original blend and clash. (…) a paintings meaning lies not in its origin, but in its destination. The birth of the viewer must be at the cost of the painter. »[1] Et il faut comprendre cette affirmation dans la suite logique du concept d’œuvre ouverte.
Une expérience esthétique ne peut se faire que si le spectateur ne reste pas indifférent. Le visiteur de l’exposition peut faire, s’il l’accepte, l’expérience de cette opacité et de l’étrangeté tout à fait particulières à l’art. Dans cette situation, cette étrangeté de l’art devient le résultat d’une confrontation intime et non d’une incompréhension pure et simple.
Les bains électriques de Laurianne Bixhain sont des œuvres ouvertes mais aussi autonomes, dans le sens où elles provoquent la situation paradoxale d’une appropriation du spectateur tout en se refermant sur eux-mêmes.
Le parcours de l’exposition s‘ouvre et se termine sur une autre composante, celle de l’artiste-curateur : Laurianne Bixhain a collaborée avec Andrée Bingen pour l’environnement de la première salle intitulée vous êtes invisible/devenir visible et le collectif Wakanda pour la projection de leur « film post-apocalyptique ».
Cette position reflète une autre forme d’ouverture vers une création multiple.
Christian Mosar
[1] Levine, Sherry : Five Comments, in : Theories and Documents of Contemporary Art, Berkeley, 1996