Dominique Auerbacher
Photographe plasticienne
KUNST IST WAFFE - L’ART EST UNE ARME
« La vie d’un artiste doit commencer par la flânerie » (Jacques Villeglé)
A Berlin, au printemps 2008, des vitres d’arrêts de bus étaient recouvertes d’un film adhésif transparent rouge sur lequel était inscrit en lettres blanches Kunst ist Waffe, Friedrich Wolf 1928. Il n’y avait aucune indication sur la provenance de cet affichage, sur l’identité de son ou ses auteurs; il pouvait aussi bien s’agir d’un affichage sauvage, d’une campagne publicitaire, d’un slogan politique, d’une intervention artistique...
A l’origine, Kunst ist Waffe, est le titre d’un article publié en 1928, de l’écrivain juif allemand et communiste, Friedrich Wolf; engagé dans la cause de la révolution prolétarienne, il dénonce l’art pour l’art de la culture bourgeoise.
Je me suis demandée ce que signifie de nos jours, Kunst ist Waffe.
Ce même printemps 2008, le graffiteur pochoiriste Blek the Rat, pionnier du street art (l’art urbain) français, intitule sa première exposition personnelle dans une galerie de L.A, Art is not Peace But War. Blek the Rat relie le titre et le concept de son expositionaux origines du street art enfaisant référenceà l’article de Norman Mailer sur les graffitis new yorkais, publié en 1972 dans le New York Times.
De nos jours, même si la plupart des graffiteurs continuent à oeuvrer dans l’illégalité, la légitimité du street art en tant que mouvement de l’art contemporain est incontestable. Par ailleurs, le graffiti est utilisé dans les campagnes publicitaires, depuis une dizaine d’années, des grandes sociétés comme Nike, IBM, Sony emploient des graffiteurs. L’art urbain à aussi tendance à se monumentaliser. Les métropoles sont la scène de projets gigantesques commandités par des promoteurs à des collectifs (de graffiteurs, designers, photographes, pochoiristes), pour donner une plus-value artistique à leur immobilier.
L’affichage Kunst ist Waffe est pour moi typique de Berlin, de cette ville à la fois nostalgique et contemporaine, en chantiers et en devenir, végétale et sauvage, réactive et incontrôlable, couleur pierre et de toutes les couleurs.... J’ai été fascinée, non pas tant par les murales spectaculaires, les oeuvres des graffiteurs connus que par toutes ces formes d’inscriptions éphémères, ces petites interventions d’anonymes. L’accumulation de tags, graffitis, affiches, autocollants, grattages, transforment les murs, les vitres, les portes d’entrée, le mobilier urbain, jusque dans les endroits les plus insolites et inaccessibles, en de véritables oeuvres collectives. Leur beauté picturale n’est pas due qu’au hasard, mais à une composition réalisée en plusieurs étapes par des anonymes qui s’expriment et se répondent en plaçant leur propre intervention.
À Berlin, ces tribunes libres d’affichages sauvages et de tags sont, le plus souvent, des juxtapositions d’éléments qui me font penser à des collages dadaïstes entre autres de Kurt Schwitters et d’Hannah Höch.
À Paris, les compositions sont plus anarchiques, leurs superpositions, recouvrements et arrachages, me rappellent les affiches lacérées de Raymond Hains et de Jacques Villeglé surnommées par ce dernier, des Réalités collectives; ce qui fera dire à Pierre Restany « Jacques Villeglé est de ceux pour qui le monde de la rue est un tableau permanent ».
Il y a aussi à Berlin, les tags gravés, grattés dans les vitres des bus, des trams, du métro. Les griffures des tags captent et diffractent les rayons de soleil et les éclairages de la nuit; on dirait de la peinture gestuelle. Alors qu’à Paris, les vitres notamment les cabines téléphoniques, sont plutôt taggées avec de la peinture à l’aérosol.
Dans les vitres, se superposent et se mêlent tags, jeux de lumière, couleurs et morceaux de ville et parfois, mon reflet. Ces tags ont presque entièrement disparu. Fin 2008, la compagnie BVG des transports berlinois, pour éradiquer les tags, a recouvert les vitres d’un film adhésif imprimé d’un motif, le pictogramme de la Porte de Brandebourg.
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