Pasha Rafiy
Film director and photographer
Pascha Rafiy lives currently in Vienna where he works as a creative director of the Austrian newspaper "Die Presse". Foreign Affairs (2015) is his first feature-length documentary. The exhibition shows photographs taken by Pascha Rafiy during the shooting in and off the film sets. They carry us away into the heart of global politics ans in the everyday life of jean Asselborn, Luxembourg's minister of Foreign Affairs.
www.pasharafiy.comPasha Rafiy
It’s lonely out there _ The photography of Foreign Affairs
Commissaire de l’exposition : Danielle Igniti
centre d’art
Dominique Lang
Ville de Dudelange
24 septembre 2016 – 27 octobre 2016
Il serait souhaitable que le visiteur de l’exposition lise ce texte après la fin de sa visite.
« C’est ainsi que le pauvre cow-boy demeura tout seul sur son petit tapis
au milieu de la Salle de Méditation [du siège de l’ONU à New York],
serrant la colombe contre son sein,
plongé dans une réflexion profonde,
cherchant le meilleur moyen de voler au secours du monde
et de montrer aux peuples émerveillés
jusqu’où un cow-boy résolu pouvait aller
dans la défense des valeurs spirituelles » (1).
Éthos Mot grec qui signifie le caractère habituel et les manières (ou méthodes) d’une personne (2). Selon les grecs anciens, tous les arts imitent des êthê. L’éthos du photographe Pasha Rafiy est tel qu’il confirme immédiatement le fait qu’il est des situations – complexes et subtiles – que les images expriment mieux que les mots.
Sujet Il serait réducteur de dire que cette exposition est le off photographique de Foreing Affairs (Les Films Fauves, 2016), le premier film documentaire de Pasha Rafiy. Film pour lequel il a suivi le Ministre des Affaires étrangères et européennes du Luxembourg, Jean Asselborn, lors de ses voyages diplomatiques à travers le monde et de ses temps d’arrêt au Luxembourg ou ailleurs – sur son vélo. Pasha Rafiy emporte en effet toujours avec lui son appareil photo – analogique, le seul qu’il utilise depuis huit ans, un Contax 645, moyen format, avec toujours le même film et dont les photographies sont développées sans ne jamais être retouchées. Ceci est le contexte (3).
It’s lonely out there Le photographe commence en effet la narration visuelle avec le choix du titre de son exposition. La solitude – diplomatique, politique et surtout humaine – apparaît sous plusieurs formes : il y a au début le combattant Peshmerga (en persan « celui qui est au devant de la mort ») avec son arme et son regard à la fois fier et désolé ; et il y a à la fin l’homme de pouvoir, face à son impouvoir de sauver le monde. C’est l’impuissance de toute puissance qui pointe dans ce récit photographique ; avec une certaine beauté – dans l’humanité, ou l’inhumanité insinuée – de cette impuissance. Il y a aussi la solitude du photographe qui, lors des tournages du film, alors qu’il attend que le Ministre sorte d’une réunion à laquelle lui n’a pas accès, il se promène dans les rues du monde avec son appareil photo. À ces moments-là, malgré cette relative neutralité qui caractérise ses photographies, le photographe dévoile son regard propre, comme un carnet intime de voyage.
Simultanément : ici et ailleurs Les lieux – qui sont à la fois familiers et distants –, pourraient se trouver presque partout au monde. Ce sont leurs légendes laconiques qui les situent. On imagine alors que le photographe et le Ministre ont formé un étrange binôme, et qu’au moment de la prise de telle photo newyorkaise l’un se trouve au siège de l’ONU et l’autre sur un terrain vague, presque vide, abandonné par les humains mais où il reste leurs traces – les déchets – ; et les oiseaux. À un autre moment, à Téhéran, l’un négocie les rapports du Luxembourg et de l’Iran sous le poids des enjeux de l’arme nucléaire ; et l’autre se ballade dans les jardins de la résidence du dernier Shah. C’est en effet quelques jours après le départ du Shah, que la famille de Pasha Rafiy a quitté l’Iran pour le Luxembourg. Le projet Foreing Affairs est ainsi l’occasion de son premier retour dans son pays d’origine, trente ans plus tard. Et c’est étrange : cette piscine abandonnée, ce jardin verdoyant, pourraient tout à fait se trouver au Luxembourg. À l’instar de cette maison (blanche) en Inde avec, à son entrée, les pots de fleurs qui la rendent, paradoxalement peut-être, accueillante. Avec les photos prises lors de ces promenades, le photographe transmet son immersion personnelle dans ces voyages, diplomatiques, documentaires et intérieurs.
Quelque chose d’intime Pendant la prise des portraits, l’équipe du tournage du film n’est pas là. A alors lieu ce face à face entre le photographe et la personne qu’il photographie. Les liens particuliers qui se tissent entre eux percent à travers les regards – celui du Ministre ; celui de Thomas Barbancey, son bras droit, toujours discret et toujours présent à ses côtés ; celui de la diplomate Sylvie Lucas, la seule femme ; ou des membres de l’équipe du Ministère des Affaires étrangères. Il y a cette photographie du Ministre dans son jardin – réponse à la question de savoir ce qu’il fait quand il ne travaille pas. La distance caractéristique que prend le photographe face à ses sujets – constitue à la fois sa signature et une métaphore de la frontière entre la sphère privée de l’individu et son ouverture à la rencontre avec le photographe. Ce choix de cadrage ne dévoile pas seulement les indicateurs visuels du contexte, séries d’informations qui ancrent les images dans un espace-temps tout en les rendant intemporelles ; elle dévoile également une image du corps. Et le corps parle toujours, même – et surtout – lorsqu’il essaye d’être neutre. La fonction des sujets photographiés est alors presque suspendue, et ils deviennent des personnes. Ce n’est plus le Ministre des Affaires étrangères que l’on voit dans toutes ces villes et jardins des ambassades du monde, c’est un être humain, présent, dans ces décors. Or, sa présence est donnée de manière à ce que quelque chose de ce qu’il est, de son caractère, perce l’image. Et le travail photographique devient alors un travail sur la nature humaine.
L’insoutenable réalité et le vélo Ready-made, l’objet vélo, la « formule 1» des vélos de course, posé sur un podium face à la photographie du camp de réfugiés en Iraq, est un oxymore. La juxtaposition peut même paraître ironique, cynique. Le vélo faisant face à l’histoire terrible de la guerre en Syrie n’apparaît pourtant pas comme une fuite en avant vers l’horizon des impossibles, mais plutôt comme un droit à la joie de vivre – malgré tout. Un moment de paix. Face à ce projet de paix perpétuelle, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Kant, qui est vraisemblablement de l’ordre de l’utopie, face à l’insolubilité des problèmes ; même les personnalités politiques – les responsables – ont le droit de se dessaisir de leur fonction et d’avoir un passe-temps. Le besoin de faire le vide. Comment sinon rester humain, intègre, et aussi calme que possible, face à la lourde responsabilité de changer le cours de l’histoire ? Comme la tâche de Sisyphe – toujours arriver pour toujours recommencer – le hobby de Jean Asselborn ressemble en effet à son métier.
Hommage vidéo-photographique L’œuvre que l’on entend dès que l’on s’approche du vélo est presque cachée – on ne la découvre qu’en tendant l’oreille. C’est l’œuvre la plus intime. On entend le son sourd de la route, de l’extérieur, puis cette respiration presque calme, presque épuisée, comme une vague. Il s’agit d’un portrait vidéo. Une séquence presque immobile. Comme une photographie dans laquelle la temporalité avait été étirée. Il ne s’agit pas exactement d’une mise en scène. Cette photographie filmée de Jean Asselborn assis sur le lit de sa chambre d’hôtel est un hommage à l’une des photographies préférées de Pasha Rafiy. À la question de savoir s’il s’agit d’une posture qui lui arrive de prendre, le Ministre des Affaires étrangères a répondu que oui et il accepta de tourner cette scène, sans en réalité être dirigé. Huntsville, Alabama de William Eggleston (1970) est en effet la photographie d’un homme assis sur un lit d’hôtel. Il s’agit de l’une de ces photographies où l’époque, le contexte et l’ambiance sont transcendés par l’étrange familiarité que le spectateur éprouve avec l’homme inconnu : une reconnaissance intime de moments similaires. Et Jean Asselborn assis au bord du lit de sa belle chambre d’hôtel, de dos, transmet cette solitude existentielle de l’homme qui ne peut qu’accepter le « destin » de l’humanité sans pouvoir le changer. La sincérité de la prise bouleverse. La chambre d’hôtel est plutôt belle mais la situation oscille entre l’agréable et l’assez désagréable. Cette séquence restitue la dialectique caractéristique de ce travail de Pasha Rafiy : du beau au terrible, de l’horrible au joli, de l’inconnu au familier, de l’officiel à l’intime, de la banalité du détail quotidien à la cour internationale des grands pays puissants, du petit pays à la politique internationale, du calme à la tension, de la simplicité des importances à l’importance du banal, du rire au sérieux, du pouvoir à l’impuissance. Cette tension, ces passages subtils d’un extrême à l’autre, deviennent finalement plus intéressants que l’arrière-scène d’un univers dont nous ne sommes habitués à voir que les images officielles. Les sensations du quotidien sont en effet plus intéressantes que les information concrètes : le désespoir d’un Ministre qui ne peut changer le monde et pourtant continue à voyager, sans perdre ni son humour ni son sourire ; l’humanité – et l’humilité – d’un combattant arme à la main, la fatigue d’un diplomate, une voiture abandonnée.
Prendre un souffle Le photographe, pour prendre une photo avec son appareil, doit le poser contre son ventre et ralentir sa respiration en adoptant une pratique proche de la méditation. La concentration du photographe, mais aussi celle de ses sujets lorsqu’ils se donnent à l’instant photographique, rappellent alors L’Homme à la colombe du roman de Romain Gary (Ambassadeur de la France aux Nations Unies et écrivain) qui alors qu’il est conscient du fait que son idéal de paix est un idéal spirituel qui ne peut être atteint ; conscient de son impouvoir, fatigué d’espérer et espérant tout de même, il s’assied au milieu d’une grande salle du siège des Nations Unies à New York, serrant la colombe contre son sein, et il médite.
Sofia Eliza Bouratsis
(1) Romain Gary (Fosco Sinibaldi), L’Homme à la colombe, Paris, Gallimard, « L’imaginaire », 1984, p. 145.
(2) Roland Barthes rend cette correspondance plus claire en reliant l’éthos à l’émetteur, le pathos au récepteur et le logos au message. Tous ces mots se réfèrent à la rhétorique.
(3) Une exposition différente de ce corpus photographique a eu lieu aux Rotondes du 26 février au 3 mars 2016. Un ouvrage a été publié à cette occasion Pasha Rafiy, Foreign Affairs, textes par Josée Hansen, Luxembourg, Éditeurs : D’Letzebuerger Land et Rotondes, 2016.