Hard Work

04.03.2017 - 13.04.2017

Vernissage le 04.03.2017 à 11:30

Nei Liicht Dominique Lang


curated by Jacques Cerami -  Jacques Cerami Gallery, Charleroi (B) and Danielle Igniti


Hard Work

« Ora e labora »

Devise de l’ordre de Saint Benoît


« Moi, Monsieur, je suis artiste. Le matin, quand je me lève, je ne traîne pas dans mon lit en me demandant si je vais être optimiste, je sors dans la rue, j’ai besoin de travailler et je n’ai pas le temps d’être pessimiste »

Mario Merz


Quand nous nous rencontrons avec Jacques Cerami entre directeurs de lieux d’art et parlons de nos projets, de nos réalisations, de l’organisation des expositions, de la diffusion de notre travail et des échanges avec les artistes, il nous arrive de nous plaindre : Nous travaillons trop ! Et puis tout de suite après, nous sourions. Car le mot « travail », pour nous, filles et fils d’ouvriers d’usine, originaires des bassins miniers et de charbon, de ces régions grises et sinistres marquées par l’industrie lourde, signifie bien autre chose que ce que nous faisons aujourd’hui dans nos officines de galeristes.

Le travail. Celui physique, dur, ce travail fait avec les mains, à force de bras, appelé manuel, celui qui fait transpirer, celui qui use et marque physiquement le corps est plus facilement détectable, plus visible et donc plus valorisant, bien que, moins payé, que ce travail qui consiste à parler, échanger, réfléchir et concevoir.

Et pourtant, travailler dans la culture est bien un travail, n’est-ce pas ?

Et un travail dur. Je le confirme ! Imposer un programme d’art visuel dans une ville régionale sans traditions bien ancrées, qui n’est pas destinée à être une « ville d’art », c’est du boulot. Se faire une place dans le gotha de l’art contemporain, ce petit cercle d’initiés hermétiquement fermé à tout intrus étranger, n’est pas aisé non plus et demande un effort constant et déterminé.

Alors le premier Hard Work est bien celui du galeriste et du curateur qui choisit, décide et doit convaincre. Il prend des risques et il se fait malmener, tantôt par les artistes (choisis et non choisis), tantôt par le public pas satisfait. Qui expose s’expose ! Et la reconnaissance, n’en parlons pas !

Alors oui Charleroi et Dudelange ont bien des choses en commun, Jacques Cerami et moi aussi. Nous nous bagarrons, on aime ça, et puis nous en avons l’habitude depuis que nous sommes tout petits. Nous sommes des militants par naissance et notre cause est l’art contemporain, les artistes et leurs travaux !

Leurs travaux ! Ah oui eux aussi ils travaillent. Ils produisent des œuvres. OpusOpere veut bien dire travail !

Alors nous avons décidé de thématiser ce concept devenu presque dérisoire à l’époque où le travail devient rare et où l’on s’enrichit plus par l’optimisation fiscale que par le travail « bien fait ». Nous réunissons donc ici des artistes autour de cette notion de travail, des artistes qui s’engagent à fond – comme dans les mines – mais dans leur travail ; nous avons choisi des laboureurs qui creusent les sillons, qui ne craignent pas l’effort et qui bossent comme on dit vulgairement.

Non pas que cela soit le seul critère – de qualité – mais parce que cela nous semble une valeur que nous puissions comprendre et aussi parce que nous rencontrons des publics qui peinent à concevoir le travail d’artiste comme un vrai travail, une tâche à laquelle on se dédie et qui est basée sur un effort continu, sévère et assidu.

Il nous a semblé intéressant de lancer une discussion sur la notion de valeur du travail de l’artiste en particulier et de celui l’acteur culturel en général. Ces gens qui sont rarement organisés en syndicats, en lobbys quelconques, qui s’activent dans leur coin et qui peinent à être rémunérés car leur travail est surtout perçu comme un hobby, ont-ils une raison sociale d’être et le droit de revendiquer une « utilité » publique ? La société d’aujourd’hui a-t-elle besoin des arts ? Peut-elle concevoir l’art comme un bien qui dépasse l’objet de consommation et la pièce artistique qui décore la pièce à vivre ?

Pouvons-nous apprécier l’effort de l’artiste ? Pouvons-nous profiter de cet effort comme d’un « service » qui améliore notre quotidien, qui nous aide à vivre mieux ?

Tel est l’angle de lecture que nous proposons pour comprendre les œuvres exposées.

Le peintre Ronny Delrue qui va dans son atelier tous les jours et qui travaille à chercher le bon trait à la bonne place, qui étudie les créations des ancêtres, qui se remet en question, qui jette et qui refait et qui réfute la facilité et le gimnick commercial. 

Michaël Matthys qui peint avec le matériel qu’il a à sa portée – le charbon et son sang – et qui plonge profondément dans son histoire personnelle et familiale, sans pitié, jusqu’au fond de son âme noire, et en payant de sa propre personne.

Et Iris Hutegger qui coud avec des fils de couleur ses photos noir et blanc et recrée des images « réelles de fiction ».

Que dire du travail sur soi de Rita Puig-Serra Costa,  celle qui trace la mémoire et se trouve elle-même à travers les photos et objets de sa mère disparue ?

Et de Floris Hovers, artiste et designer  qui recycle les objets perdus, simples et intemporels, qu’il rassemble et reconstruit avec minutie et patience dans des maquettes extra et ordinaires.

Et Michel Couturier artiste plasticien qui, à l’aise avec tous les médiums – peinture, vidéo, dessin – analyse les mythologies contemporaines pour livrer un travail qui nous confronte avec nos paysages urbains et notre société de consommation.

Ou finalement de Vincen Beeckmann, le photographe et son travail d’enquête sur la vie de « tous les jours » qui nous livre des portraits étonnants de gens simples dont il fait partie intégrante.

Hard Work !

En effet ! L’artiste, celui que apprécions, celui que nous soutenons, s’investit et il se mouille. Il propose une analyse de notre société, il attaque, il dénonce et il nous impose une vision. Son univers n’est pas toujours simple ou évident, car il nous force à réfléchir ! Il nous livre aussi une image de notre société et donc de nous-mêmes et c’est parfois insupportable ! Mais c’est aussi pour cela que nous avons besoin de son travail, car il peut nous livrer des clés de lecture de la contemporanéité – puis nous ouvrir vers un horizon d’autres mondes possibles.

Et puis n’oublions pas que ce que fait l’artiste est beau – beau comme une machine à coudre sur une table à disséquer !

Alors oui, nous voulons continuer à mettre à disposition nos espaces comme lieux de rencontres, de réflexion, d’invention et d’expérimentation. Nous prenons position loin des spéculations, de la célébration du pouvoir et de la décoration de salon. Loin aussi de l’intolérance vis-à-vis de l’art ; et contre la censure. Nous voulons accompagner les artistes dans leurs travaux artistiques et contribuer à les inscrire dans la réalité de ce monde. Nous y travaillons !

Danielle Igniti 

Michel Matthys, Déjà mort
Ronny Delrue - Série de dessins, 2012
Détail de l'installation House without saint de Ronny Delrue
Carter Vase, 2016 - Floris Hovers
Vue de l'exposition Nei Liicht - Floris Hovers et Michel Couturier
Vue de l'exposition Dominique Lang - Rita Puig-Serra Costa et Michaël Matthys
Floris Hovers, Maquette Woodcity 247x125cm, 2016
Michel Couturier, affiche 51
Iris Hutegger
Rita Puig-Serra Costa série Where Mimosa Bloom, 2012 - 2014, 95x118 cm
Ronny Delrue, Karel, 2014, Oil sur canvas, 200x150cm
Vincen Beeckman, La Devinière, 2014-2015, 60x40 cm