Filip Markiewicz

plasticien - musicien - réalisateur

Qui se souvient de Mateusz Birkut ?

En 1935, le prototype du héros du travail socialiste Alekseï Grigorievitch Stakhanov, aurait extrait plus de cent tonnes de charbon en 6 heures. 

Quarante ans plus tard, dans son long-métrage intitulé  « l’Homme de marbre » ((Czlowiek z marmuru), Andrzej Wajda, procédait à la déconstruction du mythe héroïque des pays socialistes en faisant de la biographie fictive du maçon Mateusz Birkut, héros fatigué, une métaphore de la lutte contre le totalitarisme. 

Le film débute avec une séquence qui montre une jeune journaliste de la télévision d’état polonaise (Krystyna Janda) qui s’introduit avec sa petite équipe dans les sous-sols d’un musée. Elle y trouve un stock de statues, exécutées selon les dogmes esthétiques du réalisme soviétique, datant des années cinquante. Sur le sol gît une statue monumentale de Mateusz Birkut. Cette caverne d’Ali Baba avec ses héros déchus agit comme une métaphore de la fabrique des images populaires socialistes. 

En même temps, il s’agit du même registre d’images que Filip Markiewicz exploite et transforme dans son travail artistique. Des images stéréotypées et diffuses qui peuplent un univers de mémoire collective populaire tout en ayant perdu leur caractère d’unicité : la révolution mange ses images. 

L’homme de marbre d’Andrzej Wajda est une œuvre hybride, entre documentaire et fiction. Elle trouvera sa suite et sa conclusion dans « L’Homme de fer », réalisé dans le contexte des grèves sur les chantiers navals de Gdansk. 

Cette simultanéité des situations et de leurs images constitue le centre névralgique de la critique que formule Filip Markiewicz en mettant sur une ligne des sources iconographiques aussi différentes que le casque techno des Daft Punk avec la tête coupée de Rosa Luxemburg. Dans le capharnaüm du contemporain il n’y plus de statut iconographique. Et si Justin Bieber regrette qu’Anne Frank n’ait pas survécu l’holocauste, juste pour devenir une meilleure « Belieber », il se situe exactement dans réflexion pop de Pharell Williams qui est certainement un des acteurs les plus populaires du simulacre de la « revolution factory » de Markiewicz :

Here come bad news talking this and that
Yeah, give me all you got, don't hold back
Yeah, well I should probably warn you I'll be just fine
Yeah, no offense to you don't waste your time
Here's why:

Because I'm happyyy 

Auteur : Pharrell Williams

En 1936, alors que George Orwell était engagé comme officier de police dans les colonies de l’empire britannique en Birmanie, il a assisté à deux évènements qui ont marqué son existence. Orwell, de son vrai nom Eric Blair, verra la pendaison d’un homme qu’il a décrite de façon magistrale dans son essai A Hanging. Ensuite Orwell sera fortement impressionné lorsqu’il verra comment un éléphant est tué par balles. Ce fait divers sera la base d’une métaphore sur sa condition de l’homme blanc à une époque de colonialisme brutal. Ces deux petits textes sont les précurseurs des grandes fable et dystopie qu’Orwell inventera par la suite. 

La proximité de conditions animales et humaines qu’il y projette, a un écho lointain dans les installations actuelles de Filip Markiewicz.

Mais Markiewicz ne tente plus d’expliquer ses tableaux à un lièvre mort. Sa réflexion s’élargit sur une notion de l’Europe dont l’édifice politique est menacé. Si Beuys voyait un espoir naissant dans son idée d’un continent eurasien, Filip Markiewicz ressent la situation actuelle comme un renouveau d’une absurdité existentielle. Markiewicz suggère une position qui serait celle de l’acceptation de cette absurdité comme seul moyen de survie.

Dans son travail récent, Filip Markiewicz filme et dessine des images tout en  produisant des situations qui ont des origines multiples mais qui questionnent systématiquement le traitement médiatique des nouveaux printemps révolutionnaires et des déceptions qui les accompagnent. Au 21ème siècle, le printemps des peuples est facilement celui d’une désillusion accélérée par la diffusion dans les nouveaux médias. Une fosse commune visuelle qui n’est plus vraiment décryptée par le commun des mortels.

Filip Markiewiecz y propose une alternative engagée.

Christian Mosar, mai 2014

www.filipmarkiewicz
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