Collectif Autour du bleu

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Autour du bleu est un collectif de quatres artistes: Gudrun Bechet - Pina Delvaux - Flora Mar - Doris Sander. Elles présentent des travaux collectifs, mais aussi des oeuvres individuelles.
Gudrun Bechet est photographe
Pina Delvaux crée des boîtes et des livres d'artistes
Flora Mar a abandonné l'aiguille pour le burin et se consacre à la gravure et au dessin
Doris Sander n'a pas abandonné la peinture qui est mise en scène avec des textes

  • 01 Archiv - travail commun
  • 02 Cadavre exquis - Travail commun
  • 03 Die Stühlin - travail commun
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Texte de Sofia Eliza Bouratsis
 

Mother

Never enough, always too much

Collectif Autour du bleu - Gudrun Bechet, Pina Delvaux, Flora Mar, Doris Sander

Le collectif autour du bleu a choisi un sujet qui appartient à tout le monde : la mère, être mère, avoir une mère, devenir mère, ou pas. Nous avons tous une mère et nous pourrions tous en parler pendant des jours ou… jamais. Tel est le propos de l’exposition : il est question d’art et de la manière dont 4+1 démarches artistiques s’articulent, 4+1 esthétiques qui s’approprient la question la plus profonde qui soit, la plus universelle et peut-être la plus mystérieuse entre toutes, la plus complexe. Et s’il est moins difficile d’en parler à plusieurs voix, on sent immédiatement que les quatre artistes nous parlent de manière à la fois viscérale et distanciée, poétique et violente – chacune de là où elle est et toutes ensemble comme voix collective. Le sujet est presque plus grand que les œuvres tellement l’identification et la contre-identification sont intenses – avant même que l’on ait vu l’exposition.
 

On peut dire qu’ici se produit, à tous les niveaux, le transfert et le contre-transfert dont parle Georges Devereux[1]à propos du chercheur : dans toute œuvre et dans toute recherche sont en effet investis les secrets, l’intimité, les fantasmes du sujet impliqué, qu’il s’agisse de l’artiste, du critique ou du chercheur. Il y a donc corrélation entre l’observation et la contre-observation, le transfert et le contre-transfert à l’œuvre dans la création artistique ou dans la recherche : l’artiste ou la chercheuse investit et transfère en effet ses pulsions, ses désirs et ses fantasmes sur son « objet », mais aussi ses croyances et ses préjugés. Les artistes donnent alors sens, chacuneà sa manière, par la création d’une œuvre ou par l’écriture d’un texte, elles déforment par le contre-transfert les attentes du public auquel elles adressent leur travail, mais elles essayent également d’apparaître conformes ou non à ses souhaits, de conforter sa position, de prouver ses qualités, elles transfèrent ainsi par là même leurs idées, leurs projections, leurs peurs, leur timidité et leur liberté. Mais la même chose est valable pour le spectateur, celui qui contemple une œuvre, qui écrit ou qui lit un texte ; il est, lui, surtout investi par la puissance du bouleversement, de l’émerveillement, du désarroi, de la curiosité, etc. Il interprète l’œuvre qu’il perçoit ou le texte qu’il lit en lui donnant également un sens qui n’est pas forcément celui des créateurs/auteurs ou des autres spectateurs/lecteurs. Tout se passe alors comme s’il s’agissait d’un miroir complexe où chacun investit une part de lui-même, si bien que le résultat final combine à la fois l’ensemble des figures investies et leurs interactions. Les sujets sont de ce fait personnellement engagés dans la création artistique et dans l’expérience puis la pensée esthétique, ils y sont émotionnellement et intellectuellement impliqués. Surtout lorsqu’il s’agit d’évoquer – en tant qu’artistes ou en tant que spectateurs d’une œuvre d’art – le sujet mère. Mais il y a ici une particularité : l’art crée un espace intermédiaire[2], un espace de liberté entre l’inconscient enfoui et les pressions familiales qui rendent ce sujet accessible. En déambulant dans l’exposition on ressent des choses que l’on n’avait jamais osé ressentir, on imagine (devenir ou avoir) des mères capables d’autocritique, conscientes du fait que la perfection n’existe pas… C’est cette liberté des artistes qui ont réussi à s’exprimer – et nous suggèrent une occasion de le faire à notre tour – qui est ici intéressante. Car les questions fondamentales – et l’on pourrait citer ici toute l’œuvre de Freud – sont celles de la possessivité de l’amour mère-enfant et enfant-mère ; de la sexualité de la mère et de ses effets sur l’enfant – sujet tabou par excellence ; celle de la liberté d’aimer ou non sa mère ; celle du choix (ou non) de devenir mère avec toutes les difficultés qui en découlent.
 

Ce « 4+1 » exprime la démarche collective : un collectif d’art est presque un choix anarchique aujourd’hui, c’est un projet mythique. Se retrouvent donc ici 4 femmes artistes (qui sont également 4 mamans et évidemment 4 filles) à travers une démarche commune à ces quatre femmes. Qu’est ce qui tient ensemble ces femmes, ce collectif d’artistes (le seul au Luxembourg) et leur donne envie de travailler et de faire des œuvres ensemble ? Au vu de cette exposition on serait tentée de dire que c’est la mère qui les tient, celle qu’elles sont et celles qu’elles ont (mère création, mère créatrice). Et l’on pourrait facilement imaginer 4 femmes enceintes d’œuvres d’art pendant les deux ans qu’elles ont mis à préparer l’exposition, on pourrait aussi dire qu’elles ont réussi à laisser en dehors de leurs œuvres les bons sentiments obligatoires, les clichés, la banalité et le politiquement correct familial. Or, l’amour avec ses méandres reste. Et ce qui règne, c’est l’art(-mère).

Humour et profondeur. Comment ont-elles fait pour échapper aux évidences et exprimer l’intime dans la douceur et la joie, l’amour absolu dans ses ambivalences, la difficulté de la possessivité qui veut que l’autre ouvre ses ailes tout en restant à jamais dans le nid, la pression : nous sommes ici face à 4+1 propositions « justes », c’est-à-dire sincères touchantes et… universelles.

Cette exposition pouvait-elle être autre chose qu’autobiographique ? Pas vraiment, même si, elle ne l’est pas exactement car, à travers les œuvres ouvertes, le « Je devient un(e) autre » pour évoquer Rimbaud et préciser qu’il n’est pas question ici de narrations auto-fictives, mais d’histoires racontées.


Collectif Autour du bleu

ARCHIV

(exposée à Dominique Lang)

Tables de chevet, mots et notes anonymes.
 

C’est le début de ce travail. Pendant deux ans les artistes on demandé à leur entourage de noter sur un bout de papier ou par mail quelque chose sur leur mère… anonymat assuré. Les résultats sont bouleversants : « Je pourrais avoir mille pères mais une seule mère » ou « Alles Scheisse ausser Mutti » ou encore « ma plus grande déception c’est ma fille » en passant par une chanson d’Arno :

« Ma mère elle m’écoute toujours
Quand je suis dans la merde
Elle sait quand je suis con et faible
Et quand je suis bourré comme une baleine
C’est elle qui sait que mes pieds puent
C’est elle qui sait comment j’suis nu
Mais quand je suis malade
Elle est la reine du suppositoire ».

On devient ici voyeur autorisé d’un secret consciemment dévoilé. Et pourtant, on marche à tâtons. Ces sentiments dévoilés sont d’une puissance égale à la fragilité des bouts de papier récoltés, on lit en cachette, on se demande ce que l’on aurait écrit à notre tour. C’est mystérieux et personnel, si secret et si évident à la fois.
 

DIE STÜHLIN

(exposée à Nei Liicht)

C’est la réplique la plus proche possible de LA chaise de Sigmund Freud dont la citation encadrée donne le ton. On a envie de rire mais on sourit, car c’est presque drôle : il était assis dans les bras d’une mère – de sa mère : « My strength has its roots in my relation to my mother » a-t-il écrit (Childhood recollection, 1912) – la citation choisie par les artistes dit tout. Elle n’était même pas nécessaire : sa chaise était un calin.
 

CADAVRES EXQUIS

(exposés à Dominique Lang)

Réinvestissant le célèbre jeu collectif inventé par les surréalistes en 1925, chaque artiste a mis sa touche. Le Dictionnaire abrégé du surréalisme donne du « cadavre exquis » la définition suivante : « Jeu qui consiste à faire composer une phrase, ou un dessin, par plusieurs personnes sans qu’aucune d’elles ne puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes ». Petite-et-grande différence, peut-être parce que « maman n’ignore jamais les autres », les artistes ont ici pris en compte les interventions des autres… Peut-être aussi parce que telle est la singularité de la mère : savoir et pouvoir percevoir l’autre autrement. Edmée Mottini-Coulon a décrit une ontologie spécifiquement féminine en raison de l’« incomparable perception d’une dualité d’existence dont [une femme est] intimement le siège » lorsqu’elle est enceinte. Elle conclut que le rapport féminin à autrui est spécifique « parce que son être est, ontologiquement, être-pour autrui » (p. 26)[3].

Cette altérité établie, nous nous retrouvons ensuite face aux manifestations de la mère comme corps : la dualité entre l’intérieur (les viscères) et l’extérieur (l’apparence), mais aussi la frontière entre l’intérieur et l’extérieur (la peau, l’image de la mère), le sensible et l’intelligible, les méandres du soi et les « plis du corps », le dit et le non- dit, le visible et l’invisible, l’exposé et le dissimulé, l’intime et le public. Ou encore, le corps de la mère comme « signification libidinale »[4], ou comme rêverie romantique en référence à la Venus de Botticelli, comme corps physique, corps psychique, corps animal – qui pond un œuf ou qui provoque par sa position érotique en même temps qu’elle sert à manger et qu’elle revêt ce regard autoritaire que l’on connaît si bien… Corps sexué, la mère ici devient femme et l’esthétique est celle des femmes d’aujourd’hui (des femmes d’un certain âge ?) : un peu pop, un peu ironique de la mode, multicolore enfin autorisée, multi-support comme nous vivons avec notre google incorporé, en portant des pantalons…
 

Gudrun Bechet
 

Because I’m the mother… that’s why

(exposé à Nei Liicht)

Les photographies sont claires, limpides : elles montrent, avec humour, une féminité et une maternité dictées par les dictons. Les dictons qui peuvent ressurgir à l’improviste, de manière spontanée et même nous mener à prendre des décisions … Mises en scène dépouillées, froides, minimales, chaleur du regard et rires grivois : ces ballons roses, comme des seins ou des divagations enfermées dans un bocal que le dicton n’autorise pas à sortir… Françoise Loux note à propos du « façonnage du corps » que « dès le plus jeune âge le corps est donc inévitablement cultivé, civilisé, socialisé [...]. La première tâche qui incombe aux parents est ainsi de façonner, d’achever le petit enfant, nu quand il vient au monde. La grande souplesse du corps à ce moment, sa malléabilité donnent l’impression que tout est possible »[5].
 

Réflexions

(exposé à Nei Liicht)

L’idée de miroir, l’observation, l’imitation, le reflet de la référence mère dans le regard de l’enfant – qui essaye de devenir homme. Ceci est aussi valable pour les règles et les valeurs : enracinées dans l’être de l’enfant, imbriquées dans sa propre singularité, puis interprétées selon son être propre.

Le poussin

(exposé à Dominique Lang)

Ici de l’œuf – symbole du cycle de la vie – est sorti un homme fort (en apparence du moins). L’artiste évoque la fierté de la mère, l’illusion et la désillusion, son bonheur à admirer son enfant : le plus beau du monde avec son corps parfait, ses postures idéales, son cri quand il doit quitter sa coquille…
 

Pina Delvaux
 

Objets trouvés, collectionnés dans des boîtes, photographies achetées dans des marchés aux puces, objets oubliés qui n’existeraient plus mais qui, une fois dans la boîte, racontent une histoire. Travail méticuleux, attention au détail, comme dans la relation à la mère ou de la mère à l’enfant, où tout se sait sans se dire, même les secrets, même les tricheries. Fictions bricolées, ou plutôt cousues avec délicatesse dans un tiroir qui rappelle ceux que jamais nous ne voulons ouvrir. Les paysages intérieurs de Pina Delvaux révèlent quelque chose de terrible, de terriblement sensible, le chaos de ce qu’est une famille, le trop plein dans le vide, les secrets de famille et la vie avec les non-dits.

Maman n’est pas parfaite et ses enfants non plus : ils mentent, parfois demandent pardon, et, parfois, le pardon est accepté [6]. Ils s’aiment tellement mais ils jouent souvent des rôles. Maman « a une main de velours » qui peut devenir dure, « à la mère on ne lui échappe pas ». Puis une mère accaparante devient « maman qui ne peut pas toujours gérer son quotidien » (Mother’s little helpers à Dominique Lang). Le son accompagne souvent ces histoires fragiles et puissantes à la fois dans lesquelles il faut prendre le temps de plonger, malgré la fragilité de la dentelle que l’artiste utilise si souvent, malgré la violence à la fois discrète et puissante que dégagent ces petits mondes. Affinités créées, douceurs qui cachent un bordel sans nom, sang, joie et difficulté de la naissance, provocations sensibles et rêveries éveillées… ces boîtes doivent se lire avec leurs titres, et ses livres – écrits comme une dentelle – peuvent se lire à l’envers. « J’adopte les objets et leur donne un autre sens en les combinant »… une nouvelle histoire, qui renvoie aux profondeurs indicibles des rapports entre les mères et leurs enfants.
 

Flora Mar
 

Silent education

The Power of Patterns – The order of things

(exposé à Nei Liicht)

Cette installation in situ dévoile, avec une délicatesse et une poétique bouleversantes, l’impact et la force des empreintes de l’éducation. Silent education c’est le non-dit, le jamais dit et cette façon de prendre pourtant ses plis, c’est l’acquisition des manières d’être, des obligations et le cheminement – accompli comme un équilibriste sur un fil – pour se libérer peut-être un jour de cet « ordre des choses » familial autoritaire. Les deux photographies (prises par Gudrun Bechet) montrent, sans aucune intervention, deux armoires de la mère de l’artiste qui contiennent les trésors de famille : le lin familial parfaitement bien rangé, au millimètre près. Cultivés, tissés et brodés par la famille de l’artiste, ces tissus si bien rangés sont la fierté de sa mère. Il était évidemment interdit de les utiliser librement. Face à ces photographies, l’artiste a créé son propre ordre des choses avec « ce qui est pour la fille mais que l’on cache » : les mouchoirs pour pleurer, les serviettes hygiéniques d’époque, les bandages, des draps en lin pas lavés et jamais utilisés (beiges et rêches). Ce trop de perfection dans l’enfermement duquel commencent les dérives… De l’autre côté de la pièce, l’artiste montre son propre cheminement sur un fil, sa manière d’être sortie de ces devoirs à travers eux (dyties). Elle a dû apprendre à tricoter à 5 ans. C’est à travers cette obligation, qui l’a fait souffrir, qu’elle a trouvé son chemin, on la suit, sur un fil… Et un devoir haï devient plaisir, on va de la première écharpe à la perfection, à l’idéal, des bas tricotés en soie. Ce cheminement prend du temps, c’est une performance, comme cette ligne ininterrompue que trace l’artiste. « La perfection est le contraire de la créativité » dit-elle, et pourtant son fil d’Ariane a quelque chose de parfait, dans ses déviations, sa fragilité, sa douceur intense. Cet itinéraire a en effet quelque chose de …parfaitement humain : un déséquilibre qui cherche puis trouve sa voie, un cheminement difficile qui revêt ensuite l’allure libre d’un jeu.

L’artiste a trois déesses : Atlasse. The disposition to bear a burden (celle qui est capable de porter le fardeau qu’elle doit et veut porter ; Lepidoptera. The impulse of destruction (le papillon mû par la pulsion de tout détruire, de manger le tricot) ; et Ariadne. Finding the golden thread (la liberté, le jeu, une fois arrivée au stade de libération)…

À Dominique Lang elle expose la série Out of the Womb, Notes on paper, cette dualité mise en évidence par Freud, la femme comme mère et comme putain (Forever Bitch), la fille devient mère, la femme araignée – référence à Louise Bourgeois, la femme devient force créatrice, et son instinct se lâche !
 

Doris Sander
 

Les peintures de Doris Sander expriment la douceur, la difficulté et la sensualité discrète d’être mère. Elles commencent par une citation, un fragment d’une phrase envoyée par une copine et qui l’a accompagnée pendant les deux années de travail sur cette thématique. Les couleurs et les surfaces (parfois en trois dimensions) se juxtaposent de manière absolue, comme les sentiments. Les petits détails, collages ou formes symboliques reviennent et expriment d’autres sens, des questionnements et des remises en question. Les peintures sont les émotions, ouvertes et libres à l’interprétation : est-ce que l’oiseaux va s’en voler (Loving impediment) ? La stabilité du trait dévoile la fragilité des émotions, « la relation mère enfant n’est pas un fleuve qui coule calmement ». Par associations libres sont ainsi évoqués une belle mère qu’il faut traiter avec parcimonie et sur la pointe des pieds (Treat Lightly), les masques que l’on met et auxquels nous sommes tellement habitués qu’ils s’effacent presque, l’amour éternel, la filiation et la transmission From mother, to mother, to mother, l’instinct maternel, l’attente des mères qui attendent tellement leurs enfants, leurs attentes qui sont inévitablement insatisfaites …mais aussi, dialectiquement, les attentes impossibles à combler des enfants… puis les « bonnes intentions » censées suffire à tout justifier (Gut Gemeint)…

Pourquoi le titre « mother » ? et la signature commune du collectif

« On peut résoudre le paradoxe si l’on fuit dans un fonctionnement intellectuel qui clive les choses, mais le prix payé est alors la perte de la valeur du paradoxe »[7] : les artistes n’ont pas fait ce choix. À l’instar de Freud qui lorsqu’il parlait de sa mère utilisait le mot latin mater, elles choisissent le mot « mother » en anglais, qui est leur langue (commune) la plus distante ; elles n’ignorent pourtant jamais la subjectivité effective qui caractérise ce qu’il y a de plus universel : la mère, la maman, la femme, la putain, l’amie, l’artiste…

En témoigne leur signature commune, à la « frontière du symbolique, du pulsionnel »[8] et du jeu : en l’insérant dans un univers de ritualisations symboliques elles montrent la dimension sacrée de leur proposition. Ce nœud gordien qu’elles ont fait de leurs mains et de leurs poignets sur lesquels elles ont dessiné – en faux tatouages – le nom de leur mère dit tout. Les tatouages – marques qui dans les sociétés traditionnelles s’inscrivent dans une filiation et dans la réaffirmation d’une appartenance groupale ou collective – c’est pour la vie, même si on les efface car la peau reste le lieu primordial de l’inscription identitaire entre marque de liberté et signe d’aliénation. Surface d’inscription des codes sociaux,elle est aussi le topos par excellence de l’intimité. Le corps – dernière frontière de la (dé)possession individuelle et lieu par excellence de l’individuation – devient ici le territoire d’une inscription ultime renvoyant paradoxalement aux origines de l’écriture, et donc de l’art.



[1] Georges Devereux, De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris, Aubier, 2003.

[2] Donald W. Winnicott, Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard, « Folio essais », 2002. Winnicott développe dans cet ouvrage la notion d’« aire intermédiaire d’expérience » qui se situe « entre la réalité du dedans et la réalité du dehors » (p. 30) et qui, après l’expérience vécue du petit enfant, subsiste « tout au long de la vie, dans le mode d’expérimentation interne qui caractérise les arts, la religion, la vie imaginaire et le travail scientifique créatif » (p. 49).

[3] L’auteure part de l’expérience privilégiée de la maternité « éprouvée dans sa première manifestation perçue, celle du fœtus “qui bouge” » (p. 51). Elle analyse l’expérience féminine d’autrui en s’appuyant sur la conscience du cogito qui s’élargit du fait de « l’édification d’un être » au plus profond de soi : « J’éprouve autrui “avec” moi et moi-même tout à la fois, dans une certitude vécue, puissante, symbiotique et peut-être sympsychique, à supposer la pensée de l’embryon déjà réelle bien qu’inconsciente, évidemment. Cette expérience d’intériorité élargissante m’apporte autrui, c’est-à-dire mon semblable et mon autre et mon différent, de l’intérieur de moi-même », Edmée Mottini-Coulon, Essai d’ontologie spécifiquement féminine, Paris, Vrin, 1978, p. 59.

[4] Paul Schilder, L’Image du corps. Étude des forces constructives de la psyché, Paris, Gallimard, p. 290.

[5] Françoise Loux, Le Corps dans la société traditionnelle, Paris, Berger-Levrault, « Espace des hommes », 1979, p. 62. Voir aussi L’Homme et son corps dans la société traditionnelle (sous la direction de Jean Cuisenier et Françoise Loux), Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1978, une excellente introduction à l’anthropologie du corps et de son « processus de civilisation ».

[6] Sur le pardon, voir le texte magnifique de Vladimir Jankélévitch, Le Pardon, in Philosophie morale, Paris, Flammarion, 1998.

[7] Donald W. Winnicott, Jeu et réalité. L’espace potentiel, op. cit., p. 22.?

[8] Jean-Thierry Maertens, Ritologiques I : Le dessein sur la peau, Paris, Aubier, « Étranges Étrangers », 1978, p. 31.