Brigitte Zieger
Artsite plasticienne
EYE DUST
Il ne s'agit pas de dessin au sens classique, cela serait trop simple, mais bien plutôt d'un geste, puisque ces dessins sont réalisés avec de l'ombre à paupière. La poudre scintillante est d'ailleurs déposée par un geste doux et féminin de "maquillage" sur la feuille de papier.
Ces dessins pourraient même être qualifiés d'anti-dessins. D'abord parce qu'ils érigent en sujet, en motif, la disparition même. Ensuite parce que leur technique précise et minutieuse ne correspond en rien à ce qui leur reste de sujet, nouant avec celui-ci, qui ne dure qu'un temps infinitésimal (celui d'une explosion), une relation paradoxale. Une explosion ne peut être dessinée sur le vif. Ces dessins recèlent donc en eux-même le filtre qui a permis de les produire : les médias. De fait, plus ou moins reconnaissables, ces explosions ne sont pas "sans histoire".
Mais chaque explosion est isolée de son contexte, ainsi le phénomène d'abord physique devient objet et forme. Les thèmes de la mort et de la destruction sont masqués par le plaisir formel, et, disons-le, par leur très réjouissante esthétique. C'est beau, très beau même. Du beau travail et de très belles formes. Obtenues par une technique qui n'est pourtant que précise et ne concède en rien à quelque effet esthétisant. Parfaitement décoratives néanmoins. Dangereusement décoratives. A la fois scintillement joyeux, attirant, et débris littéraux de métaux désintégrés, les paillettes indexent cet autre paradoxe constitutif de la série.
C'est que la représentation du monde à partir de la presse ou d'internet rend compte d'un société qui s'est habituée à un décor visuel fait de tragique, de guerre et de catastrophe, et de fait l'a accepté comme son psycho-environnement naturel. Ce que Brigitte Zieger met en crise dans son travail, est bien cette société du spectacle de la mort. Loin d'être anodins sous des dehors attrayants (mais on se doute au premier coup d'oeil que l'on ne s'en sortira pas indemne), ces "arrêts sur image" interpellent ainsi en nous une certaine cécité.
Mais la sémantique de cette série est plus riche encore. Une connaissance des autres prestations de Brigitte Zieger nous laisse supposer qu'une lecture plus intime, relative à la carrière et au rôle de l'artiste, et de l'artiste femme évidemment, au vu de la technique utilisée, est aussi en jeu. C'est du maquillage qui est utilisé. Un truc de fille, donc, pour dessiner un monde fabriqué par les garçons, dans lequel violence et destruction règnent à satiété.
Ces oeuvres interrogent ainsi, à un niveau plus intimement politique, ce qu'une oeuvre, ce qu'un dessin accroché sur un mur (leur mode d'accrochage reste parfaitement et fort pertinemment visible), peut encore. A quoi, et qui, il sert...
Car l'artiste lui-même, le premier, est fasciné par les formes. Brigitte Zieger qui manifestement les maîtrise parfaitement nous en dit le danger. C'est beau, alors attention.
Philippe Fernandez
www.brigittezieger.com