Simone Decker

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Visual an conceptual artist

Simone Decker dans une interview avec Calire de Restif à propos de sa conception de l'espace : " ... c'est une appropriation de l'espace à ma manière. Avec cet espace, mon espace dans un autre espace, je tente aussi bien une multiplication, donc un agrandissement, qu'un effacement des proportions, donc aussi une dissolution de l'espace. J'y vois une possibilité de questionner l'espace physique. ... Mon travail consiste en un déplacement, une réorganisation ou bien une mutation physique et/ou mentale du lieu."

www.simonedecker.com
  • 01 Clashtest 2018 - installation
  • 02 Clashtest, Centre d'art Dominique Lang, septembre 2018
  • 03 Clashtest, Centre d'art Dominique Lang, septembre 2018
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L’espace comme métaphore de l’image

à propos de l’exposition

CLASHTEST

de Simone Decker

Curated by Danielle Igniti

Une non-rétrospective

Un « clash » en musique est l’exercice qui consiste à jouer simultanément des genres musicaux différents afin de provoquer leur communication. Avec ClashtestSimone Decker se confronte à cet exercice mais avec un choix de ses propres œuvres. En l’invitant, sa curatrice Danielle Igniti lui a dit cette phrase : « Il n’est pas nécessaire de créer de nouvelles œuvres ». Cette invitation, assez atypique pour le monde de l’art contemporain qui exige souvent des artistes qu’ils produisent de nouvelles œuvres, est ainsi devenue le point de départ de ce projet.

L’artiste a donc vidé sa réserve, elle a choisi des œuvres créées lors de la dernière vingtaine d’années, et elle a reconstruit, à partir de ses anciens travaux, un travail nouveau. « À partir de mon “matériel” : des travaux ou fragments de travaux préexistants, je recompose un regard ludique sur mon travail et sur place en jouant avec l’espace de la galerie. Je décompose et recompose, multiplie, fractionne, fragmente, masque, découpe, ajoute, tresse, projette, mets au point,… », explique-t- elle.

L’espace dans lequel elle expose et la dimension in situ du processus de création jouant un rôle fondamental dans la démarche de l’artiste, elle a transformé le Centre d’art Dominique Lang en atelier un mois avant l’ouverture de l’exposition. Ensuite, à travers une sorte de collage inédit fait de temporalités compressées et réinventées, le lieu d’exposition et le lieu de production se sont confondus afin de devenir un univers en soi.

Douces transgressions

C’est avec beaucoup d’humour, d’autodérision mais aussi de maîtrise de soi que l’artiste a mis en œuvre ce projet dont la dimension autoréflexive sous-jacente est constituante. Comment découper son propre travail ? L’artiste ose en effet viderd’une certaine manière ses œuvres de leur sens, afin de les considérer comme matière première pour pouvoir jouer à son propre jeu et finalement les investir de sens nouveaux – transportant pour ceux qui reconnaissent les œuvres une temporalité passée et transfigurée dans le présent.

Tresser, plier, couper ses propres photographies, vider ses sculptures, déconstruire des éléments,… Simone Decker aboutit ainsi à de nouvelles textures qu’elle travaille avec la lumière et le reflet, à des projections de l’espace dans l’espace, des approfondissements et des étirements du lieu et du travail : le fond et la forme ont fusionné. 

Un projet perpétuel

Clashtestest un assemblage possible, mais qui pourrait être tout autre, l’artiste pourrait même éventuellement faire évoluer le projet tout au long de l’exposition. L’intérêt de Simone Decker pour le processus de création et de production de l’œuvre, la méthodologie que l’artiste a inventée pour cette exposition n’est pas sans rappeler l’art processuel, le mouvement pour lequel le produit final, l’« œuvre d’art » à proprement parler, n’est pas l’objectif principal. Ici ce qui importe c’est le processus de fabrication et de formation de l’œuvre : les assemblages, l’organisation des éléments, les compositions, les associations, les répétitions et plus généralement à la mise en place d’actions et de processus divers qui se contredisent, se complètent, se dissocient, pour éventuellement mieux s’associer et se renforcer. Les concepts de devenir, d’improvisation, ainsi que l’utilisation de matériaux non traditionnels comme la terre, l’eau, la cire, le feutre et le latex sont importants pour ce mouvement. C’est l’art qui s’intéresse au faire(à la poïétique) et à la manière dont une action (découper, tresser, projeter, coller, tirer, repasser, teindre, etc.) peut être définie comme étant du travail artistique. Et pour Clashtest Simone Decker a en effet tout réalisé de ses propres mains, ce qui est de plus en plus rare dans l’art contemporain.

C’est aussi une conception de l’art qui donne toute son importance à l’intentionnalité, à la visée constituante du sujet et qui considère l’art plus comme une aventure, « un éclatement vers », un déploiement des possibles, que comme un produit fini. Ce cheminement, cette évolution des éléments et des gestes qui ne sont pas forcément de l’art mais dont la composition aboutit à une œuvre d’art ne sont dont pas cachés mais restent un aspect important du résultat une fois complété. C’est à partir de ce moment que le travail de Simone Decker se distingue de l’art processuel. 

Dans Clashtest, le sujet de l’œuvre n’est pas son processus de fabrication : même si l’on voit les plis et devine les gestes de l’artiste, et même si, Simone Decker à un moment donné, fige et par là-même dévoile ses gestes. 

Un espace habité

L’espace constitue en effet l’un des sujets fondamentaux de l’artiste qui propose souvent des installations qui intègrent volontiers le lieu dans lequel elles s’insèrent comme matériau à part entière de l’œuvre.À travers la méthodologie singulière qu’elle a mise en œuvre pour Clashtest, l’artistes’est progressivement approprié de l’architecture insolite de l’ancienne gare, mais surtout de l’espace d’exposition que désormais elle « habite ». Elle en a dissout les contours et les caractéristiques afin de régénérer le lieu et de créer son espace propre

Comment habiter un espace, comment détourner les trajectoires habituelles dans un lieu, comment l’adapter à son jeu et se l’approprier ? Ces questions qui sont sous-jacentes au travail de Simone Decker débordent le monde de l’art et évoquent notre manière de faire notre place dans le monde. D’occuper un fragment du monde. Il y a une sensibilité essentielle dans la démarche de l’artiste qui, même si elle transfigure le lieu, ne le fait pas dans une perspective dominatrice (comme si elle l’avait plié) mais plutôt comme si elle se donnait à un exercice dont l’objectif serait de faire disparaître le lieu. Peut-être le fait-elle, tout simplement, pour appréhender plus librement l’idée d’espace. En bousculant l’espace et son appréhension sensible elle réussit en effet à extraire l’idée d’« espace » de l’espace d’exposition, à se défaire de ce lieu précis et à questionner la spatialité dans une perspective à la fois sensible et conceptuelle ouverte.

C’est à travers cette belle maîtrise des éléments et cette sensibilité extrême au lieu que l’artiste arrive à dominer le mur le plus grand et le plus haut de la galerie avec un objet dont le diamètre ne dépasse pas 15 cm. Nucleusest la maquette d’une sculpture qui était proposée comme œuvre d’art pour l’espace public. Elle agit ici comme point centrifuge de l’exposition. Les pierres précieuses et thérapeutiques qui la composent (encore un assemblage de morceaux) revêtent peut-être cette force magnétique que l’on refuse parfois de leur accorder. 

Corps multiple, corps fragmenté

Les trajectoires, projections, réflexions dans les miroirs, les différentes matérialités des installations, posent assez rapidement la question du corps – et de son image qui est constamment prolongée, découpée, modifiée, tirée et multipliée. C’est la raison pour laquelle ici, le corps, avant d’être vécu comme intimité est perçu comme étant une étendue, comme un espace qui occupe un espace – sur le miroir, dans les œuvres, dans le centre d’art et dans le monde.

Lesapparitions-disparitions auxquelles l’artiste soumet le spectateur, créent ensuite et inévitablement un échange entre l’artiste et ce dernier : « Je suis là, ah non maintenant c’est toi. J’ai disparu et je réapparais », à l’infini…La conception du corps comme espace, et sa mise en exergue comme corps multiplié ou multiple, comme corps fragmenté dont on n’aperçoit qu’un détail, l’immédiateté physique de l’œuvre, les reliefs, le caractère à la fois visuel, tactile et organique du travail renvoient à une expérience corporelle étrange. Nous sommes dans un monde qui peut paraître si autre(appartenant à l’artiste, on « entre » un peu « chez elle ») et qui est pourtant intime.

L’immédiateté physique et esthésique du travail, l’expérience esthétique immersive et absorbante à laquelle Simone Decker donne accès peut évoquer un corps de l’expérience sensiblequi revendiquerait plus d’espace dans le monde. Sa conception de la vidéo Air Bagen atteste : « C’est une œuvre sur l’espace vital, l’espace universel, l’espace minimal nécessaire ». C’est dans cette perspective, même si l’on ne peut se saisir d’un espace qu’à travers nos sens (et l’incarnation), que l’on comprend que Clashtestest une expérience esthétique qui consiste à remettre en question l’espace – que celui-ci soit perçu, compris, apprivoisé, choisi, arpenté, exposé, occupé, etc. – par le truchement de l’image (et de son pouvoir).

Ce qui advient et ce qui aurait pu être tout autre

« Il y va principalement de ce qui advientet non pas de tel ou tel advenir, de tel ou tel devenir ou du devenir en général. 

Le mêmeadvenir contient les possibilités de différencier ce qui advient. 

Advenu, advenant et à venir, en chacun de ses lieux, en chacun de ses moments ».

Kostas Axelos

Chacun, un jour ou l’autre, se retrouve confronté à un avenir incertain, à une liberté absolue, à des limites nouvelles, à un cycle qu’il veut fermer pour en ouvrir un autre, au choix, à l’absurde, à l’attente, au besoin de se regarder dans une glace pour savoir ce qu’il a fait de sa vie – de son art –, chacun se trouve par moments, et qu’il le veuille ou non, confronté à de grandes questions.

L’artiste ayant installé son univers dans une pénombre propice aux projections vidéo et à la distorsion de l’espace, à l’intimité, à l’éclat du mirroir, à l’état songeur, à une certaine sensualité – les corps (notre corps) qui défilent dans les mirroirs, le rouge qui déborde, qui déteint puis qui réapparaît fougeux – exprime aussi l’intensité d’un moment donné. Car l’espace ne peut être dissocié du temps dans lequel il se situe.

Il faut se rendre disponible au jeu proposé par Simone Decker, alors advient une sorte d’introspection partagée avec celle de l’artiste. Les approches successives, les truckages optiques, les répétitions, les jeux d’echelle, les reformulations d’une idée qui sur le chemin devient autre, troublent le spectateur – toujours avec cette touche d’humour, de regard ludique, qui caractérisent le travail de l’artiste – afin qu’il se laisse aller à ce clash…

L’essentiel ? On le découvrira peu à peu, à mesure qu’on aura vaincu nos premières appréhensions, que nos yeux se seront accoutumés à cette pénombre, à l’image de notre corps, à ces jeux avec l’espace que l’on se met à jouer avant même de nous en rendre compte, car ce qui advient, c’est justement, ce qui est en cours, en vie,le non-dit, le vide, le plein, l’ouvert, le débordant et le jouissif – qui interrogent.

L’espace devient ainsi, et graduellement, une métaphore de l’image. Il y a d’abord la puissance et le mystère de l’image d’un corps qui se plie – ou pas – à la suggestion de l’artiste, il y a ensuite, l’accès fondamental à travers la primauté des sens (qui constituent aussi le monde du leurre) à la question des artifices de la séduction (notamment de l’art contemporain). C’est ainsi que le travail de Simone Decker devient également une critique très subtile du monde de l’art et de ses rouages…

Pulvériser de la mousse blanche dans une maquette pourtant fragile et déborder l’espace d’exposition dans un geste qui, malgré son échelle et son humour, reste audacieux et fragile à la fois, c’est aussi une manière pour l’artiste de s’approprier de l’espace à « sa » manière, de réussir cette dissolution de l’espace. « Mon travail, précise-t-elle, consiste en un déplacement, une réorganisation ou bien une mutation physique et/ou mentale du lieu ». 

Sofia Eliza Bouratsis

Clashtestest composé de matériaux, extraits et de fragments des travaux suivants :

Lenka, 2004

Curtain Wall, 2002

Seaworld Biel/Bienne, 2000

Brugge turtles, 2000

Recently in Arhem, 2001

Prototypes d’espaces infinis, 1999/2000

Jagdschlösschen, 1997-2001

Whitening, 2005

View Finder (8 fragments), View Finder (5 fragments), 2008

Shifting shapes, 2010

Air Bag, 1998

Le va-et-vient du Mont Saint Watou, 2000

A couple of full moons, 2003/4

Nukleus

Ghosts, 2004

Flaschengeister

Inlays, 2011

500 pieces, 1997

Chewing in Venice, 1999

Meeting, 2010

Le Grand soufflé, 2011