Karolina Markiewicz + Pascal Piron
Karolina Markiewicz & Pascal Piron work as an artist duo since 2013
Nous travaillons les images et les textes, en mouvement et au repos, comme autant de réflexions poétiques.
Le projet inclut principalement une série de courts-métrages ainsi que des stills, des photographies d'installations temporaires et des dessins - ils forment regroupés ou pas - un sanctuaire-forum de paradigmes métaphorologiques. Ce sont les mythologies fondatrices ainsi que les ruptures ontologiques du passé, mais celles du présent aussi - à travers les récits historiques, les sciences et la littérature - qui se lient à notre travail d'éclairage poétique et esthétique: les guerres, les génocides, les exils, les changements politiques et toutes leurs traces possibles et imaginables.
Dans la série, nous partons du présent et de l’actualité d’un lieu donné ou d'un personnage et de son récit imaginé en lien avec le lieu, avec son histoire, pour le modifier, le réécrire, le sculpter. Dans la série de courts-métrages présentés en épisodes réalisés dans différents endroits du monde, nous mettons ce processus en évidence par sa traduction artistique, ces effets secondaires, à savoir l'émergence d’une image poétique autour de l'image produite sur l'être humain et sur sa mémoire.
Cerner la complexité de notre société et s'y embarquer, d'une certaine manière, comme le disait Albert Camus.
info@markiewicz-piron.comNoir espoir
Side Effects of Reality
Commissaire d’exposition Danielle Igniti
Noir et lumière. L’Europe traverse une crise qui est grave et qui ne cesse de s’aggraver – une crise à la fois économique, identitaire et morale, une crise culturelle aussi et politique – ; l’Europe traverse une crise sociale totale. Malgré le fait que cette crise soit constamment dissimulée, elle est bien là et hante toutes les dimensions de la vie. Les actes citoyens apparaissent souvent comme étant vains, car ils se noient dans l’instabilité et l’opacité qui règnent. La réalité devient de plus en plus inaccessible, incompréhensible, opaque, violente. Le duo artistique Karolina Markiewicz + Pascal Piron part de ces constats et, en ajoutant l’observation selon laquelle « la réalité n’est que l’image que nous avons d’elle. [Et] le passé rayonne sur le présent et influence l’image de la réalité », ils cherchent dans l’histoire et dans la mythologie de nouveaux repères pour comprendre le présent. Après leur documentaire Mos Stellarium (2015) sur les six jeunes demandeurs de protection internationale au Luxembourg, ils étendent leur questionnement vers un paradigme plus général et ils changent d’approche. Le projet de Side Effects of Reality consiste ainsi à cerner une réalité inaccessible à travers un détour : l’usage de la métaphore. Cette métaphore ici devient vidéo, photographie, dessin et peinture, texte et image. « Tous les travaux sont réalisés à 2 têtes et 4 mains » : deux visions de la réalité s’associent, se confrontent et se composent.
Side Effects of Reality. « Mentir vrai » oudire la vérité à travers la fiction.Il y a d’abord une série de films, dont ici nous découvrons 3+1, ce sont des chapitres. Des lieux concrets de l’histoire européenne sont confrontés à leur actualité. Mais non pas à des fins documentaires : il s’agit d’évoquer le lien de ces lieux à l’Histoire en créant un autre espace-temps, clairement hors-monde : celui du film. Les textes qui sont dits, entre prose et poésie, sont parfois rythmés par des chiffres : comme des commandements ouverts. Il faut les écouter.
Trois femmes content l’histoire. Commentaire du règne actuel des images : celles produites pour ce projet n’ont aucune vocation de s’ancrer dans le réel sinon à travers la narration de l’histoire (son interprétation) et la présence corporelle des actrices en ces lieux choisis – filmées de manière réaliste, proche et sensible, ces trois femmes constituent le lien entre fiction et réel. L’on ne sait pas si elles sortent par moment de leur personnage pour faire un commentaire sur sa position où si l’identification a été faite et nous sommes entrés en dialogue avec elles. Ces trois femmes portent par moment des masques : peints à même leur visage, ils sont noirs ou dorés. La dissimulation est-elle la dernière issue ? Le visage reste sacré.
DansLa Figurine Amandine Truffy est dans la forêt, assise ou débout sur un vieux tabouret d’enfant, vers la fin, elle tient une figurine à la main. La figurine est une reconstitution 3D de la figurine authentique du Mickey Mouse trouvée par des archéologues à Birkenau cet été. Cette trouvaille suscite chez les artistes la nécessité de raconter l’histoire d’un enfant imaginé – mais ce Mickey a bien appartenu à un enfant qui est bien mort là. Mort à 8 ans (dans le film) l’enfant raconte son histoire. Le « ready-made » est ici imprimé en 3D, mais aussi dessiné de manière compulsive par les artistes, à répétition. Tentative de catharsis.
Pour Eos + Aeneas, la déesse Eos (ivre et fatiguée) disucte avec Enée, autour de la lumière. « Noyade sans exaltation » de Louis Aragon accompagne l’image de cette femme, l’actrice d’origine espagnole, Irene Del Olmo déambule dans une clairière (la nuit) et dans un jardin chic au bord d’une piscine, un verre de vodka à la main au crépuscule.
Okopowa, Warszawa Opatova, jouée par Silvia Costa, est devenue une zombie, une morte-vivante qui se souvient du moment où elle aurait pu trouver une issue: « À quoi cela sert-il d’être révolutionnaire?», demande-t-elle en reflétant notre propre peur d’agir. Elle évoque ce qu’elle aurait pu devenir, si elle avait agit autrement.
Les artistes ont l’intention de laisser les spectateurs naviguer dans cette réalité parallèle, les laisser interagir avec leurs propres histoires aussi. Montrer que les narrations peuvent être multiples : les vidéo stills imprimés sont des images choisies et des phrases choisies mais pas dans l’ordre des films. Les narrations changent, les visions de l’histoire aussi.
La lumière s’éteint, mais après avoir brillé. À ce travail s’ajoutent également des photographies d’installations lumineuses temporaires réalisées en parallèle. La série des Neon Thoughts, représentent des citations d’auteurs qui ont accompagné les artistes durant leur recherche (Jean Jaurès, Louis Arago, Pier Paolo Pasolini, Sarah Kane et Roland Gori). Réalisés en « glow sticks », qui s’éteignent après quelques jours, ces « néons pour pauvres » sont de par leur matière déjà un commentaire de la réalité : la brillance ne dure pas. Les idées pourtant restent : elles constituent, à la manière de la vidéo De rerum natura, une sorte de « chemin » de compréhension du monde (et du projet). Les auteurs choisis sont « les éclaireurs, les lucides », Roland Gori fait le lien entre eux et les artistes (et nous). Les livres dont sont tirées les citations sont exposées : à la fois référence et incitation à lire ? À s’intaller dans l’espace de l’exposition pour penser. Pour voir le soleil briller puis s’éteindre.
La question posée par Sarah Kane qui ouvre et ferme l’exposition persiste : What do you offer your friends to make them so supportive ? Il ne s’agit pas ici de jouer. La belle voiture, le luxe (local), l’effort de cultiver et de garder ses contacts « comme il faut », travestissent tout effort de penser. Avoir le courage de se confronter au réel, aux grands textes, à l’écoulement de l’histoire c’est aussi avoir le courage de se remettre en question soi-même. Cette dérision du « national branding » local mais aussi personnel concerne absolument toute personne vivant au Luxembourg (ou ailleurs), indépendamment de ses activités et de ses discours. La recherche de la lumière ne peut passer qu’à travers le noir absolu. C’est bien lui qui suscite le besoin de liberté et la soif de vie qui caractérisent ce projet et la vie elle-même, tout court, tout simplement, absolument.
Sofia Eliza Bouratsis