Moustache gracias

13.09.2025 - 09.11.2025

Jeannine Unsen

Vernissage le 13.09.2025 à 11:30

Nei Liicht

De lombre à la lumière dorée

Avec Moustache gracias, Jeannine Unsen rompt un silence. Elle donne corps et voix à un moment charnière de la vie des femmes rarement mis en images: la périménopause. Cette période de transition hormonale avant la ménopause est marquée par des cycles irréguliers, des symptômes physiques et émotionnels variables, pouvant durer jusqu’à dix ans… Inspirée par les enseignements de la Red School, l’artiste visuelle traduit les cinq étapes de cette traversée en un parcours sensible fait de textures, de couleurs, de sons et de gestes, un chemin entre expérience intime et partage collectif. 

Dès l’entrée, une silhouette majestueuse se dresse dans un paysage nocturne, drapée de lumière. Gardienne des forces anciennes, elle n’impose rien mais veille, invitant chacun·e à franchir le seuil. Sur le mur, une phrase résonne : « En l’absence d’amour et d’appartenance, il y a toujours souffrance. » Jeannine Unsen invite à un voyage engagé, qui revisite des savoirs oubliés et appelle à retrouver une énergie féminine universelle, précieuse et créatrice.

Avant d’entrer dans la première salle d’exposition, une bibliothèque nomade présente les ouvrages qui ont nourri les recherches de l’artiste. Ces références, enrichies par des suggestions venues des femmes associées au projet, offrent un point d’ancrage, une carte vivante pour s’informer et échanger.

La première salle, Trahison, frappe comme une secousse. Une photographie monumentale aspire le regard : un corps retenu par un long tissu vacille entre entrave et libération. Les murs bordeaux, profonds et denses, reflètent le vertige des débuts de la périménopause, ce moment où le corps en mutation impose sa vérité, tandis que la société reste muette ou maladroite.

Puis vient Abandon. La lumière se tamise, les sons se déposent comme un souffle. L’espace se resserre en un cocon de douceur : un temps de retrait, d’écoute, d’immobilité fertile avant la renaissance. Dans cette grotte protectrice, le loup, animal totem de la phase, veille en tant que symbole d’une force intérieure qui se tient dans le calme.

Un éclat soudain introduit Révélation. Des assiettes accrochées, témoins des gestes domestiques, se métamorphosent en miroirs de mémoire. Une procession de gardiennes voilées, vêtues de couleurs vibrantes, évoque les savoirs anciens et les transmissions omises. « Ce dont nous avons besoin, » dit l’artiste, « était déjà là, inscrit dans nos veines. Il suffit de se souvenir. » Le corps est prêt à refaire entrer la lumière, tout en douceur, il réapprend à recevoir.

Présence installe un temps suspendu. Sur les murs, des questions brodées en nuances charnelles de rouge et de rose se détachent sous une lumière dorée. « Est-ce que ta vie t’a apporté de la joie ? Est-ce qu’elle a apporté de la joie aux autres ? ». Assis·e face à ces mots, chacun·e se laisse traverser par leur résonance, dans un espace propice à la clarté et au recentrage. L’aigle, animal totem de cette phase, plane en silence, porteur d’une vision élargie, dégagée des contraintes.

Enfin vient Émergence. Au mur apparaissent des femmes de tous âges, formant une tribu qui évolue à travers des gestes lents d’incantation, leurs jupes longues balayant l’herbe des champs. Fortes d’une énergie retrouvée, d’un feu brûlant, elles avancent dans une chorégraphie instinctive où le rythme n’est plus imposé mais choisi. Ici, les comadres — ces alliées, ces sœurs de passage — reprennent leur place, rappelant que les transformations individuelles trouvent toujours écho dans le collectif.

Cet état d’esprit a nourri Jeannine Unsen dès les prémices de son exposition. Entourée et soutenue par un cercle de femmes à travers les différentes phases de conception – chercheuses, praticiennes, chorégraphes, complices de pensée – elle transforme ce qui, souvent, se vit dans l’isolement en une force partagée qui rayonne de façon polyphonique dans chaque espace de l’exposition. 

Dans la dernière salle, tout converge dans une forme de Reconquête pensée comme une conclusion autant qu’un espace de partage. Les portraits de femmes photographiées par l’artiste au fil des années se déploient aux côtés des animaux totem, guides discrets et symboliques des cinq phases de métamorphose. Une énergie fluide traverse l’espace, reliant ces femmes entre elles, dans une même vibration, à la fois ancrée dans le présent et ouverte sur quelque chose de plus vaste, presque hors du temps. « Ce chemin, de la trahison à l’affirmation, n’est pas seulement biologique », confie Jeannine Unsen, « il est aussi alchimique. Il révèle la force d’une appartenance profonde, portée par l’archétype de la Wise Woman — celle qui éclaire, qui voit loin, et qui nous rappelle que choisir le lien et l’amour est le plus audacieux des actes. »

Moustache gracias n’est pas un récit figé. C’est un espace vivant, cyclique, où le passage de la périménopause à la ménopause devient langage commun et où l’expérience se prolonge bien au-delà des salles : un lieu qui invite à réfléchir, à dialoguer, à se reconnaître, et où chaque fin porte déjà la promesse d’une renaissance, d’une nouvelle éclosion.

Fanny Weinquin

Historienne de l’art


avec le soutien financier du ministère de la Culture, de la Fondation Indépendance, du ministère de l'Egalité des genres et de la Diversité et du service à l'égalité des chances de la Ville de Dudelange