Commissaires : Alessandra Capodaqua - Paul Di Felice - Danielle Igniti
En collaboration avec Café crème a.s.b.l. et Fondazione Studio marangoni, Firenze (I)
TEMPI OSCENI
Moments de la photographie contemporaine italienne II
Quand est né l’idée d’organiser une nouvelle exposition sur la photographie contemporaine italienne, nous avons pris comme point de départ l’exposition organisée en 2001 intitulée Tempi in scena : Moments de la photographie contemporaine italienne. Cette exposition regroupait quelques artistes italiens et étrangers qui avaient tous un parcours de formation commun au sein de l’école de la photographie « Fondazione Studio Marangoni » de Florence où ils ont faits leurs études dans le cadre spécifique du Corso Triennale.
Le défi était difficile à relever : il fallait éviter une exposition « photocopie », c’est à dire en reprenant simplement les mêmes artistes, et en même temps il fallait trouver un nouveau fil conducteur .
Si pour la première édition nous avons montré quelques aspects des nouvelles sensibilités artistiques d’une génération d’artistes marquée par le changement de paradigme de la photographie contemporaine en Italie, exprimant l’intime et les mutations de la vie au quotidien, pour la deuxième édition nous avons décidé de mettre davantage l’accent sur les images photographiques qui racontent les réalités d’aujourd’hui comme tentative de résistance à la situation italienne actuelle.
En observant les œuvres de différents artistes, une tendance double a émergé. D’un côté, la représentation du moment historique que l’Italie est en train de vivre, de l’autre une sorte d’idéalisation dans la tentative de dépasser une réalité qui pour nombreux Italiens se révèle être incommode et peu confortable.
De cette duplicité a jailli l’idée de montrer cette Italie où, l’image de la réalité violente des sujets politiques et culturels - qui la détruise progressivement, s’oppose à l’image d’une transfiguration sublimée.
Comme l’observe la critique et historienne de la photographie Roberta Valtorta : « Les artistes font plein usage des possibilités que la photographie leur donne grâce à sa souplesse et sa capacité de s’adapter à tout type de contexte. » (Roberta Valtorta, Il pensiero dei Fotografi, Un percorso nella storia della fotografia dalle origini a oggi, Bruno Mondadori, Milano, 2008)
Le fil rouge entre ces deux expositions se trouve dans l’articulation de cette pensée photographique liant la grande histoire aux petites histoires, le public à l’intime, le réel à la fiction. Le lien se fait aussi par le titre qui reprend le substantif « tempi » en jouant sur les mots : tempi in scena pour l’exposition de 2001 et tempi osceni pour l’expo 2009. D’une époque où l’artiste s’inspire de la mise en scène intimiste, des changements du corps privé en corps public, de l’influence des médias sur la vie quotidienne nous passons à cette génération émergente dont les nouvelles voix se font doucement entendre en Italie. En dénonçant la trivialité, l’indécence et le mauvais goût des représentants politiques, les artistes à travers leurs photographies et vidéos engagés, parfois décalés, essaient de résister à « l’obscénité » (au sens figuré) de la situation italienne actuelle .
Voilà donc que le travail de Simone Donati a marqué le pas pour la construction de l’exposition. Son travail Welcome to Berlusconistan raconte la fracture de l’Italie d’aujourd’hui à travers les visages et la gestualité des gens qui participent aux rassemblements du « Popolo della libertà », le parti formé par « Forza Italia » et « Alleanza Nazionale ». Pour mieux comprendre ce phénomène typiquement italien il suffit de lire ce que Marco Travaglio a écrit dans Il Fatto du 24 septembre 2009 : « Massimo D’Alema (illustre représentant du Partito Democratico et ex premier ministre, ndr) a raison : en Italie il y a trop d’antiberlusconisme qui dérive vers une sorte de sentiment anti-italien. Berlusconi le dit aussi (la gauche est anti-italienne), donc c’est certainement vrai. « cette concession d’une minorité illuminée qui vit dans un pays malheureux - explique encore d’Alema- c’est la pire approche que nous pouvons avoir. Il faudrait plutôt essayer de comprendre les raisons de la droite »
Les travaux sélectionnés pour cette exposition expriment en quelque sorte ce sentiment dualiste de la réalité pure et dure et du refuge idéalisé.
Les vidéos de Franco Menicagli et de Marzia Migliori nous racontent sous forme allégorique et symbolique la situation compromettante évoquée plus haut.
Dans Ciotola de Menicagli nous observons la reconstruction d’un bol cassé qui à la fin de cette réparation mal faite laisse apparaître les traces de ruban adhésif alors que dans Bianca e il suo contrario, Marzia Migliora, l’artiste apparaît vêtue de blanc, immobile devant la caméra quand à l’improviste des gouttes de liquides noirs commencent à couler le long du corps et de la robe en les couvrant de noir. Deux situations différentes et deux sensibilités apparentes qui évoquent de façon poétique et philosophique la rupture sociale et culturelle.
Le travail de Alessandro Mencarelli Hotel Clandestine qui est l’histoire d’un immigré clandestin qui se réfugie dans un vieux cabanon, devenant son lieu de résidence, s’oppose à la série Hotel Rêverie qui montre des photographies mises en scènes dans un hôtel inoccupé, en voie de rénovation, revisité en clef de songe par Silvia Noferi.
L’œuvre Among de Fabio Barile est une longue narration tout au long de 1200 km de côte italienne qui révèle une altération de l’équilibre par l’érosion marine due aux interventions spéculatives de l’homme. Derrière la beauté de ces images se cache une nature blessée, transpercée par l’action irrespectueuse de l’homme.
Dans la série Occhio ragazzi de Giuseppe Toscano, la campagne toscane resurgit dans toute sa beauté. Pourtant ce sentiment change radicalement quand l’observateur découvre que ce travail se base sur des faits divers survenus entre 1968 et 1985 où la région de Florence était devenue le théâtre d’une série d’homicides sur de jeunes couples. L’artiste en s’inspirant d’une réalité policière archivée recrée un environnement ambiguë entre récit objectif et fiction subjective. En faisant resurgir des détails symbolisant la déchirure, l’effacement, l’encerclement, l’enfermement voire la disparition, Toscano réussit à transfigurer le quotidien de lieux désormais abandonnés par les hommes. En cadrant sur le plein d’arbres et de broussailles et en jouant sur les contrastes flou et net, il amplifie l’ambiance mystérieuse en y suggérant la violence cachée de nos représentations collectives des paysages fictifs des contes de fée.
La série Paesaggi con figure de Chiara Cochi nous plonge aussi dans un univers étrange résultat de notre société post-industrielle où la nature semble en voie de disparition. L’harmonie d’une vallée, la solitude du promeneur sont altérées par l’asphalte dominant et l’homme – que Cochi définit par figures – ne fait plus partie de l’ensemble mais devient un élément variable dans le contexte.
Cette petite sélection non-exhaustive de quelques jeunes artistes qu’on peut attribué à l’école de Fondazione Studio Marangoni de Florence témoigne d’une nouvelle prise de conscience sociale, politique et artistique et de l’impact d’une nouvelle pensée photographique sur le paysage culturel italien actuel.