Synthèse d’une excursion

24.04.2021 - 13.06.2021

ROZAFA ELSHAN

Vernissage le 24.04.2021 à 11:30

Dominique Lang

À toi beaucoup t, (0000.....) 5fois infiniment fois n était exeloús.

Tu désœuvrais ta démonstration, contenue dans une boîte et tu la frottais à la peau de cet endroit de passage, pour (te) dépayser, mesurer l’espace, une durée (avec la précision d’un sismographe), t’essayer à une forme un peu plus attentive du quotidien. Ce quotidien exeloús, de nos temps.

Démontrer, tu disais, en éprouvant un tas de trucs : la trace photographique, la reproduction infinie par photocopie, l’étirement d’un instant dans sa répétition, la distribution du temps en forme de tickets numérotés, la couleur rouge, le point de vue caméra, les articulations hasardeuses d’une liste de films trouvée, le dispositif de vision formé par des plaques de verre de différentes tailles, l’arpentage d’un espace et de ses contraintes, les bruits de leurs désœuvrements. Démontrer pour éprouver et pour informer une recherche, la manifester possiblement, dans la salle d’attente d’une gare. 

(Entre parenthèses : dans la gare de M. Reihl, constructeur de rails et de trains qui n’ont besoin d’arriver nulle part et des palais de verre qui s’effondrent sous le poids d’expositions et de clichés, on raconte qu’il continuait de regarder devant lui, monsieur Reihl, mais rien à faire. Il n’arrivait vraiment pas à comprendre. Impossible. Vraiment, il n’arrivait pas à le voir. De quel côté était la vie.

Dans l’attente, tu collectais des petits bouts de papier glanés entre les livres trouvés au Pêle-mêle et manipulés par des mains inconnues et anonymes. De ces solid objets, qui nous regardent, tu retenais la mince chance d’une rencontre, d’un retardement sur page. Une érotique des écarts imprévisibles par rapport à la ligne droite(0000.....)

(…) la poésie des infinies potentialités imprévisibles de même que la poésie du vide naissent d’un poète qui n’a aucun doute quant à la nature physique du monde. Cette pulvérisation de la réalité s’étend aussi aux aspects visibles, et c’est là qu’excelle la qualité poétique de Lucrèce : les grains de poussière qui tourbillonnent dans un rayon de soleil au milieu d’une pièce sombre (II, 114-124) les toiles d’araignée qui nous enveloppent sans que nous nous en apercevions tandis que nous marchons (III, 381-390). 

Accordée à ces expériences qui se donnent en bordure de récit, tu t’approchais d’une sorte de point oméga, où (quand/comme) le temps bascule dans l’espace, l’horloge s’est arrêté à 11 :11 et l’on ne cherche plus à aligner les causes aux effets : tout donnait l’impression d’être réel, le rythme était réel, paradoxalement, des corps qui se mouvaient musicalement, des corps qui bougeaient à peine, une dodécaphonie, des choses qui se passaient à peine, cause et effet si radicalement séparés que tout lui paraissait réel, à la façon dont sont dites réelles toutes les choses du monde physique que nous ne comprenons pas. (…) Lumière et son, tonalité sans paroles, la suggestion d’une vie au-delà du film, l’étrange réalité criante qui respire et mange là-bas, cette chose qui n’est pas du cinéma. (22)

Rester debout faisait partie de l’art, l’homme debout participe. (…) Mais il revenait toujours au mur pour un contact physique, faute duquel il risquait de se retrouver à faire quoi, il ne savait pas trop… (120) 

Ces moments abstraits, de toute forme et toute taille, le motif du tapis, le grain du plancher, qui maintiennent son œil comme son esprit en alerte absolue, et puis le palier, en plongée… (119)

En contre-plongée du mur (écran) tu t’allongeais alors par terre et avec rigueur, sans bouger ni t’assouplir, tu essayais d’atteindre le plafond à l’aide d’une projection sur verre. Telle une écriture jouée infiniment sur un bout de papier de la taille de cette salle de passage : de l’univers clos au monde infini.  

Avec des extraits et des citations de : Alessandro Baricco, Châteaux de la colère, Albin Michel, 1995 ; Italo Calvino, « Légèreté » dans Leçons américaines, Gallimard, 2017 ; Don Delillo, Point Oméga, Actes Sud, 2010 ; Émilie Hache (ed.), De l’Univers clos au monde infini, Éditions Dehors, 2014, Chris Marker, Le Tombeau d’Alexandre, 1992 ; échanges avec Rozafa Elshan ; marque page trouvé par Rozafa Elshan ; Virginia Woolf, Solid Objects, dans A Haunted House and Other Short Stories, Adelaide, 2009. 

Michela Sacchetto

ARCHIPEL

dans le cadre du Mois Européen de la photographie (EMOP)

en collaboration avec le Centre national de l'audiovisuel (CNA)

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Dans le cadre du 8e Mois européen de la photographie (EMOP) au Luxembourg, les Centres d’Art de Dudelange et le Centre national de l’audiovisuel (CNA)s’associent pour présenter les trois expositions monographiques de Marie Capesius, Rozafa Elshan et Marie Sommer reliées sous le titre de « Archipel ».

Une île dont la cohabitation intrigante entre une communauté naturiste et un camp militaire de tests à missiles défie l’idée-même de paradis, un appartement qui sert de point d’observation pour une étude expérimentale d’une fraction du quotidien capté au moyen d’un téléobjectif, un territoire dans la région arctique marqué par une ligne de radars, dont les vestiges évoluent au long des cycles de la fonte des glaces.

Les trois artistes explorent des territoires naturels, stratégiques et intimes à travers leurs strates de mémoire et d’idéologies, et proposent une mise en perspective à travers des langages très variés tels que la photographie, l’image de synthèse, la vidéo, le son, la sculpture, le dessin, le journal intime et imprimé (l’écriture), la performance, les images d’archives. 

« Archipel » nous parle d’un monde traversé par les courants et vagues, ses fragilités, beautés et paradoxes, sous la lumière des relations changeantes entre l’homme et son environnement. 

« Archipel » est aussi un observatoire du répertoire renouvelé de l’image pour le raconter aujourd’hui.