Instincts. Same but different

16.01.2021 - 21.02.2021

Cristina Dias de Magalhães

Vernissage le 16.01.2021 à 11:30

Nei Liicht

« The birth of Victoria and Helena changed everything. Nothing is the same anymore. They are part of my world, my life, myself. We evolve side-by-side united by a unique bond. Through their gaze I rediscover the moments linked to early childhood.

Joy of life, exploration of the environment, discovery of oneself and the others are depicted through diptychs, creating an imaginary and yet authentic encounter uniting the human and animal universe. Instincts are the basis for survival, and the relationship we build with others, the environment and the planet define our humanity.

I started Instincts. Same but different as the silent observer of my daughters’ explorations, encounters, and nascent dyad. Instead, it has been the process to redefine myself as a woman, a mother and an artist. »                                

Cristina Dias de Magalhães

www.cristina-dias.com

Une ronde pour apprivoiser leur monde 

Cristina Dias de Magalhães a cessé d’interposer son dos entre nous et le monde sensible. Sa mise en corps (à travers la mise en scène intimiste d’Embody) l’a faite mère, elle crée maintenant à hauteur de ses jumelles, Victoria et Helena. Toujours le truchement de la nature lui permet d’aborder plus sensiblement son environnement, mais d’une série à l’autre elle a abandonné le règne végétal des arbres et feuillages et leurs ombres portées pour confier à l’animal le rôle de médiateur. A la première étude de ces images j’ai pensé diorama. Et le texte de l’auteure m’a orienté vers son lieu favori de prises de vues le Muséum d’Histoire Naturelle de Genève. L’une des institutions de cet ordre où les dioramas sont les plus nombreux. Ceux-ci concernaient d’abord exclusivement la faune régionale suisse et depuis les années 1990 se sont élargis aux animaux de tous les continents. 

Faut-il rappeler que notre artiste se place ainsi dans la postérité des inventeurs du diorama, un certain peintre oublié Charles Marie Bouton et Louis Jacques Mandé Daguerre qui se consacrent en 1822 aux illusions et jeux de lumière de ces ancêtres de l’installation, dix-sept ans avant l’invention officielle de la photographie. Cette animalité du diorama reste liée aujourd’hui à l’univers de l’enfance, en dehors des institutions muséales on y est confronté dans les parcs d’attractions, les biodômes, les modèles réduits et les livres      pop-up.

Dans la notice du lieu on rappelle que la mascotte du Muséum est une tortue grecque bicéphale nommée Janus en référence au dieu antique. Cette tortue à deux têtes née en 1997 dans les couveuses de l’institution bat un record de longévité. Les jumelles ont aujourd’hui quatre ans, elles adorent rendre visite aux autres animaux naturalisés qui sont aussi fréquemment sujets à la photographie maternelle qu’elles deux. 

Dans l’ensemble des diptyques le face à face se joue en pleine égalité à hauteur d’oeil d’enfant. Le cadre est toujours serré, dans une distance d’intimité ludique. Dans les dioramas l’animal fait souvent face au public ou est installé selon son meilleur profil. Cela donne lieu à des confrontations où tel oiseau semble porter une attention de grand frère aux deux petites, un lièvre assiste curieux aux effusions de tendresse entre mère et fille, lui répondent les longues oreilles d’un doudou en peluche. Les conventions photo du portrait s’appliquent au règne animal, tandis que les jumelles sont surprises au vif des gros plans de leur gestuelle, dans les figures d’une ronde toujours réitérée, jamais dans la pleine lumière de leur visage.

Entre le corps des bêtes naturalisées et celui saisi au vif des deux petites un troisième corpus remet en jeu les dessins des enfants. Là encore Cristina se positionne dans une tradition artistique celle qui remonte aux créateurs avant-gardistes de l’almanach du Blaue Reiter, publié à Munich en 1912. Les premiers, ils y collectionnent et publient des dessins d’enfants. Son plus connu représentant Paul Klee intègre ses propres premiers dessins au catalogue de son oeuvre, en excluant les commandes scolaires ou ses productions d’étudiant. Kandinsky considère l'art enfantin comme une expression intuitive directe de l'essence intérieure des choses. Cristina, quant à elle, place sa série sous le règne de la domination renouvelée de l’instinct. 

En 1919, Max Ernst organise une exposition dada à Cologne, où il accroche à côté de ses œuvres et de celles d'artistes d'avant-garde, dessins d'enfants, objets trouvés et productions de personnes prétendument aliénées. Cristina sous-titre sa série Same but different, ce qui bien entendu doit s’entendre dans le développement de ses deux filles. 

Plus proche de nous l’essentiel des études sur le dessin d'enfant s'inscrit dans une dimension psychologique ou psychopédagogique, il y est considéré d’abord comme un mode de perception. Pour l’artiste, cette fascination des formes tracées sans contrainte, de leurs traits vifs comme de leurs couleurs sans calcul n’a rien à faire de la psychologie, aussi subtile soit son analyse. 

Si dans l’exigence de sa démarche l’artiste accepte cependant que la psychologie parle de besoin de différence, la seconde partie du titre de la série avance que devenir soi-même suppose pour chacune de ses filles de s’affirmer différente de sa co-jumelle. Parallèlement quand la sociologie emploie le terme « normes de différenciation » cela peut apparaître comme un programme qui se révèle dans la complexité de l’accrochage. L’histoire se construit dans le montage quasi cinématographique des diptyques qui se répondent d’une salle à l’autre. Quelques images en dos bleu directement collées sur le mur redonnent un peu d’espace pour une fuite jouée sur le mode un deux trois soleil et photo. Pour qu’elle trouve ses échos complets dans le réel de la famille, une des premières salles installe la figure masculine du père. Et en écho la dernière salle met au centre les deux mains si parlantes de Noémie, la petite dernière. Les salles à dimension humaine de Nei Liicht semblent résonner des échos lointains d’une comptine rythmant cette ronde follement joyeuse à la découverte de l’univers. 

Christian Gattinoni

Membre de l'Association Internationale des Critiques d'Art,

rédacteur en chef de la revue en ligne www.lacritique.org

Cristina and her daughters

It was about a year and a half ago when Cristina Dias de Magalhães first contacted me to discuss a possible new project, a series about her then three-year-old twin girls, Victoria and Helena. We met for coffee in Luxembourg during one of Cristina’s visits from Geneva, and she showed me an initial series of images, many of which have become part of Instincts. Same but different. Tufts of fluffy, curly hair, in single or double edition, jumping, or sitting quietly and well-behaved; tiny feet in slippers and under blankets. There were photographs of taxidermied animals too, tokens from their mother-daughter outings to the Museum of Natural History. And finally, Cristina mentioned her daughters’ drawings as part of this new body of work. That is, if it was going to be pursued.

This, indeed, was at the heart of her concerns: “What should I do about these images? I feel very strongly about them. Yet, can they, these “snaps” I make of my daughters, can they be a new body of work in their own right?” The answer, both mine and ultimately Cristina’s, obviously, was yes.

There is no other medium that suits documenting family life and creating family history like photography. Weddings, birthdays, family vacations, the arrival of children, their growing up from babies to toddlers, to teens and young adults fill albums, cellphones and clouds all over the planet. Artistic and popular practices converge. Skilled artists have made exquisite portraits of their loved ones since the very early days of photography. Julia Margaret Cameron, who was offered a camera as a present by her daughter in 1864, photographed her grandchildren in delicate studies for biblical motifs. Edward Steichen captured his daughter Mary sleeping, using the newly invented autochrome process at the beginning of the twentieth century, long before he canonized the family as the main subject of his major exhibition The Family of Man.

As photography spread to the masses - and Kodak made sure to get the message across that it was merely a “child’s play”! - families started to write their own stories. And though fathers would most often pick up the camera and have the children pose for future memories, mothers would play an equally important part in keeping track and organizing the souvenirs and stories into the family’s most treasured keepsake and means of self-representation: the album.

Cristina is both operating the camera and creating the family history in a neatly organized edit. She observes quietly, yet she is more than an observer. Her gaze is clearly that of a mother, watchful, present, protective. Thus, she sets clear boundaries to what we are allowed to see and engages both her daughters and the viewers in a playful game of hide and seek. The portraits of her girls are tightly cropped. They show outlines of bodies, fleeting gestures, crisp white fabric of summer dresses, but only birds and squirrels look back at us.

A subtle tension therefore builds up, as the series unfolds and we follow Cristina’s meandering thoughts about the transformative experience of motherhood, about her daughters, their personalities, their future selves, about her family and her own agency. In this context, the girls’ selected drawings appear as a cheerful disruption as much as a necessary complement to finally reveal a full family portrait with undisguised emotions, ranging from laughter to tears, from joy to sadness.

With Instincts. Same but different, Cristina pursues the autobiographical work that she has started with Back views (2003-2013) and Embody (2019). The textured and patterned surfaces of skin, hair, feathers, fur, that she continues to scrutinize, allow glimpses into inner landscapes. These landscapes may stem from different moments in Cristina’s life, but they are shaped by the same recurring questionings of identity, the creative act and, most importantly, of how to negotiate one’s place as a woman and an artist. The underlying meaning of this trans-generational family photography project thus ultimately speaks of self-affirmation and ownership. A clear artist’s statement to the public, and a message of encouragement and hope passed from a mother to her daughters.

Françoise Poos

Ph.D. Visual Culture