avoir désordre

31.10.2020 - 13.12.2020

Marc Buchy

Vernissage le 31.10.2020 à 11:30

Nei Liicht

Marc Buchy avoir désordre 31.10 – 13.12.2020 Centre d’art Nei Liicht, Dudelange

Marc Buchy s’intéresse à la connaissance et à sa transmission, à la circulation du sens entre la perception et le savoir empirique, et à la relation du corps à l’espace et au temps. Partant le plus souvent d’objets usuels qu’il revisite, d’interventions sobres qui opèrent à la lisière du visible, voire également d’infiltrations furtives, son travail consiste à investir les accords tacites qui organisent notre rapport au réel aussi bien que les codes implicites de l’art. 

Sous le titre avoir désordre, cette exposition a été composée autour du jeu de mots produit par l’ordre et le désordre. Elle introduit un équilibre en tension et joue sur les projections entre les degrés de réalité, entre les présences littérales et symboliques des éléments exposés. Il y est question de la relation entre la rigueur et l’intuition, entre l’harmonie et le chaos, que l’on retrouve dans les lois du cosmos (cf. carton d’invitation) ainsi que dans nos expériences à priori anodines du quotidien. 

L’exposition fait graviter un ensemble d’oeuvres, modestes et discrètes, autour d’une installation à la fois minimale et imposante : une trentaine de paires d’échasses1 aux lignes épurées formant autant de sculptures activables disséminées à travers les salles. Le titre, ? – soit la lettre grecque « Mu » – se réfère à ce symbole scientifique souvent associé à l’échelle micro, et à l’écho produit par la sonorité française de cette lettre qui à elle seule accuse l’idée d’une mise en mouvement. Laissées à la disposition du public pour se déplacer dans l’espace, ces échasses voient leur statut d’instrument de supervision contrecarré par l’équilibre précaire de leur appui et l’instabilité dans laquelle elle placent leurs utilisateurs.trices. Par cette invitation à prendre de la hauteur, il s’agit pour l’artiste de suggérer une prise de distance par rapport à ce que lui-même donne à voir et d’ironiser sur cet angle de vue dominant en le faisant vaciller. En outre, suite à l’acquisition d’une série de ces échasses par le Centre d’art qui l’accueille, il en a fait don d’un même nombre à la Maison des Jeunes voisine où elles rejoignent leurs équipements. Ces deux consignations sont fixées par une convention présentée dans le bureau. 

Ce recours au cadre légal est ailleurs poétisé jusqu’à la dérision. Dans les deux certificats2, l’artiste marque son engagement à ne pas, à ne jamais, apprendre à danser ni à s’instruire sur l’astronomie. Par cette promesse de restriction qu’il s’impose et dont il prend le public à témoin, l’absence de compétence devient un marqueur d’identité que ces documents performent et gardent en mémoire. 

De portrait en creux et de prédiction, il est également question à travers le présent texte imprimé au recto de feuilles de papier brouillon3 que l’artiste a conservées, constituant une pile de rebuts variés allant de publicités à des documents administratifs. Ici, le brouillon est moins convoqué comme support de l’ébauche que comme intention de consigner des traces du quotidien et d’envisager leurs circulations futures. En pointant de la sorte l’exposition comme intervalle, l’artiste s’expose à une intrusion volontaire dans son intimité pour constituer une oeuvre-archive éparse dont la conservation dépend de l’attention et de la valeur qui lui sont adressées. 

Dans l’une des salles sont rassemblés plusieurs outils de mesure du temps et de l’espace. On y trouve épinglée au mur une affiche aux allures de carte routière4. Celle-ci est une cartographie collective des contours de la France – pays natal de l’artiste – qu’il a demandée à une cinquantaine de personnes de dessiner de tête, et dont ce trait traduit la moyenne numérique des résultats. Au-delà de l’effet comique de l’approximation subjective dont le titre – Fronce – se fait

l’écho, et de l’absurdité de la moyenne appliquée, il s’agit pour l’artiste de sonder l’écart manifeste entre la représentation et la réalité d’un territoire. Posées sur l’appui de fenêtre, trois paires de gants5 véhiculent autant de techniques, ancestrales et actuelles, pour calculer l’heure et le passage du temps sur le principe du cadran solaire, en observant le déplacement de l’ombre projetée sur la main ; un rapport approximatif qui permet de contrebalancer la mécanique du temps unique qui organise notre présent. Dans l’embrasure de la porte est exposée à l’envers, une calculatrice6 à cellule solaire sur laquelle il est demandé au public de taper les chiffres 713705, soit de rejouer ce passe-temps diffusé dans les classes d’enfants faisant apparaître le mot « soleil ». 

L’idée d’échapper à la rigueur des formules alimente la série présentée dans l’espace qui jouxte le bureau. Vingt-deux dessins7 y confrontent deux types d’inscriptions graphiques, des tracés réalisés à la main et des schémas vectoriels. Ce geste incisif, quasi automatique et répété de la rature est le fait de l’artiste qui s’était donné pour projet de réveiller des stylos à bille en fin de course collectés dans son entourage. Il a ensuite sur-imprimé sur chacune des feuilles et de manière aléatoire, des repères mathématiques, produisant des compositions à la fois subjectives et hasardeuses, des rencontres fortuites entre des langages semblant pouvoir se décliner à l’infini.

Au sol de la salle du fond se déploie une sculpture en acier dessinant une forme sinueuse8. Celle-ci est une transposition agrandie à l’échelle de la pièce d’un tracé au crayon provenant d’un jeu de labyrinthe auquel l’artiste avait joué étant enfant, et qui était depuis conservé dans la maison parentale. La référence au dédale croise ici la résonance mythique du trajet parcouru, la mémoire du corps et son expérience de l’espace et du temps. 

L’exposition met ainsi la notion d’oeuvre d’art à l’épreuve de son utilité et de sa sensibilité au milieu. Le souvenir du jeu d’enfant, réactivé au fil des éléments, invite à penser la singularité du geste en tant que trace d’un instant révolu, lieu d’une tentative répétée ou encore plus communément, comme intention dissonante.

Texte et curation : Pauline Hatzigeorgiou 

1 ?, 2020 (sculptures activables), structures en métal, 220 x 17,5 x 5 cm, édition

2 Instruction, 2015 (deux certificats d’artiste sous cadres), impressions jet d’encre, A4, pièces uniques

3 Quantité négligeable, 2020 (texte d’exposition sur papier brouillon), A4, protocole

4 Fronce, 2020 (tracé numérique de la France moyenne), impression latex noir et blanc sur papier poster, 110 x 90 cm, édition

5 Palm dial, 2018 (sculptures activables), trois paires de gants en coton et deux bâtonnets en laiton, dimensions variables, pièce unique

6 713705, 2018 (sculpture activable), calculatrice à cellule solaire exposée à l’envers, édition

7 ainsi à l’infini, 2020 (dessins), tracés manuels au stylo à bille et impressions jet d’encre, A4, pièces uniques

8 Labyrinthe, 2020 (sculpture au sol), acier inoxydable, environ 480 x 240 cm, pièce unique