Collection du 49 Nord 6 Est -Frac Lorraine, Metz

Oeuvres de la collection du 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine, Metz

Elles sont les sentinelles de notre temps, elles guettent l’horizon et nous alertent. Telle serait la définition des artistes proposées aux regards des visiteurs des Centres d’art de Dudelange.

La vigilance, l’état d’alerte sont les armes utilisées par ces femmes aux convictions tranchées et aux propositions claires : il faut changer ce monde. Leurs armes sont la poésie, la dénonciation, l’humour. Autant d’œuvres que de sujets de révolte, autant d’ouvertures sur le monde que de cartes à redessiner.

Venues des quatre coins de la planète, elles défendent le droit des artistes à réveiller les consciences, à refuser les ordres établis et à bousculer les lieux communs.

Béatrice Josse et Danielle Igniti, curatrices

Les deux commissaires de l’exposition, Béatrice Josse et Danielle Igniti, écrivent dans leur court texte de présentation qu’« elles guettent l’horizon et nous alertent ». Qui ? Les seize artistes choisies pour l’exposition Vigies and Co.

Vigie

nom féminin, (port vigia, de vigiar, veiller)

_ à bord d’un navire, homme qui était chargé de surveiller le large et de faire des signaux.

Le Larousse.

Vigie, nom féminin mais qui désigne un poste qui selon Le Larousse ne peut qu’être occupé par un homme. La position prise par les deux commissaires de l’exposition devient donc claire dès le départ : les vigies ici ce sont les femmes artistes. Elles nous alertent et revendiquent un changement du monde à travers l’art et les armes de l’art que sont la poésie, la pensée, l’humour, la résistance, la recherche, le courage d’être critique, la sensibilité, et, surtout, l’action qu’implique toute remise en question des évidences. 

Être vigile, du mot latin vigil qui veut dire éveillé, signifie être à l’état de veille. Les œuvres choisies pour cette exposition ; ont un premier point commun apparent : elles ont toutes été crées par des femmes. Est-ce alors une exposition « féminine » ? Cela signifie-t-il quelque chose ? Non. Est-ce une exposition féministe ? Oui, et assumée comme telle. Les Guerrilla Girls l’ont affirmé avec justesse et humour sur l’un des posters montrés à Dominique Lang : l’un des « avantages » à être femme artiste est « d’être assurée que quelque type d’art que tu fasses, il sera labélisé comme féminin »… Or, ce que la qualification d’art « féminin » insinue est ici renversé de manière radicale et absolue, par chaque œuvre séparément et par la proposition curatoriale dont la position est claire. Alérter donc. Tel est le réel premier point commun choisi entre ces œuvres.Il s’agit en effet, comme si l’on était à bord d’un navire, de faire un tour d’horizon des grandes questions fondamentales, transhistoriques et transversales qui se posent à notre époque et à la suite de notre voyage dans la vie. Questions qui concernent aussi bien le monde de l’art que le Monde-Vie, les conditions de travail, la société dans son ensemble, l’environnement, l’histoire de l’art, les régimes politiques totalitaires (ou autoritaires), les idéologies, les rapports d’autorité et de subversion entre les sexes et les genres, l’amour, le sexe, le sacrifice,  la douleur,  la croyance, …  la résistance.

Ce texte parcourt l’exposition à travers huit « thématiques ». Celles-ci font rhizome –pour reprendre l’expression de Gilles Deleuze et Claire Parnet au sujet de la pensée :« Penser, dans les choses, parmi les choses, c’est justement faire rhizome, et pas racine, faire la ligne, et pas le point. Faire population dans un désert, et pas espèces et genres dans une forêt » [1].

Le monde comme territoire 

Le mot territoire signifie l’étendue qui ressortit à une autorité, à une juridiction, il signifie d’un espace qu’il est délimité – que quelqu’un se l’est attribué et qu’il y garde ainsi une autorité. À travers des travaux que l’on pourrait qualifier de cartographiques Katrin Ströbel, Cornelia Parker, Marta Caradec, Àngels RibÉ et Lotty Rosenfeld remettent en question, chacune à leur manière, les découpages et interprétations du monde. Àngels RibÉ en posant une boussole à même le sol du centre d’art et en marquant les points cardinaux en fonction de l’orientation géographique du lieu pose la question de savoir où nous (en) sommes. Prise de conscience de notre position géographique, certes, mais aussi suggestion : nous pourrions – ou nous sommes – probablement ailleurs en fonction de notre conception actuelle du monde. C’est une question similaire que pose Katrin Ströbel avec sa mappemonde autocollante, elle aussi à même le sol et qui, avec son esthétique de calligraphie arabe, rappelle la potence culturelle de chaque définition, même, et surtout, de celle du territoire. Cornelia Parker, quant à elle, marque de brûlures les cartes avec une pièce en sidérite vieille de 400 ans chauffée jusqu’à incandescence. Renversement de l’histoire : la douleur de la démarcation est ici transposée sur l’étendue des États-Unis… L’artiste a toujours été fascinée par les processus d’éclatement, naturels (cosmiques) ou issus de la maîtrise de la main de l’homme sur le monde physique (bombe atomique).Marta Caradec, a une toute autre approche : elle récolte des cartes géographiques et elle les interprète, elles les transforme en les ornant, en y transposant ses propres symboles et codes. Ici, elle réinterprète des cartes originales du site minier d’Audun-le-Tiche, en apposant des motifs sur chaque niveau de la mine – comme des dentelles qui s’apposeraient sur un monde masculin afin de traduire la multiplicité culturelle issue de l’immigration industrielle des années 30. Autan de remises en question des structures et modes d’occupation de l’espace, réappropriations de la cartographie par les artistes qui nous suggèrent une lecture sensible et subjective des zones géographiques du monde, une approche critique qui pose en réalité la question de la place des êtres humains dans le monde.

Le travail de Lotty Rosenfeld s’organise directement contre la brutalité de l’ordre social autoritaire tel qu’il s’exprime dans l’espace public. Elle fut membre actif du collectif chilien CADA formé en 1979 au Chili en réaction à la dictature du général Pinochet et dont les actions associaient activisme sociopolitique, art conceptuel et performance. La collection photographique des différentes performances de l’artiste de 1979 à 2008 constitue l’archive d’une action que l’artiste répéta en plusieurs endroits symboliques du monde, hors institutions artistiques : scotcher des bandes blanches?en travers la signalétique de route, créant des croix là où il y avait des lignes. Désobéissance et insoumission à un ordre linéaire des choses – et de l’organisation du flux des personnes –, et symbole de rencontre également, ces croix, dont les lectures possibles sont infinies, sont un « simple » acte de détournement d’un signe fonctionnel qui devient un acte de guerrilla minimaliste à l’échelle du paysage.

Revendications du corps

Qu’est-ce qu’une image du corps ? En quoi diffère-t-elle de l’image d’une chaise ? Est-ce que le contexte dans lequel on découvre l’image d’un corps joue un rôle dans la façon dont nous allons la percevoir et la comprendre ? Esther Ferrer réalisa la performance Intime et personnel en 1967 (les douze photographies de 1977 montrent une femme nue se mesurant le corps avec un mètre ruban) et elle créa un protocole pour que cette œuvre-action – qui consiste à mesurer son corps ou le corps de quelqu’un d’autre – puisse être recréée à l’infini. L’artiste espagnole d’origine basque, membre historique du groupe ZAJ (considéré comme la branche espagnole de Fluxus), interroge avec cette performance le territoire corporel tout en dénonçant, à l’époque, la logique normative du régime franquiste. Or, la conception métrique du corps reste aujourd’hui d’une actualité poignante, mais pas seulement : dans le contexte d’exhibition constante de notre vie privée, mais aussi à une époque où tout le corps peut-être refait « à perfection » par la médecine, il est intéressant de nous interroger sur les rapports extrêmement complexés que nous entretenons à notre propre corporéité. Art du geste, humour et dérision à propos de la standardisation des corps ; et jeu subtil entre la théâtralisation de l’intime, le refus du spectaculaire, et l’interaction – la suggestion d’oser partager ses peurs du corps avec le public.

C’est également un acte de partage qu’opère Sigalit Landau avec sa performance filmée Barbed Hula, mais dans un tout autre registre. Née à Jerusalem en 1969, l’artiste n’a pas connu la paix chez elle. Les disputes à propos des frontières d’Israël et de la Palestine sont ici transposées à même le corps de l’artiste. Son corps, d’une beauté bouleversante, joue à un jeu d’enfants (Hula Hoop) et fait allusion à une occupation d’adultes (la guerre). En effet en temps de guerre toutes les dimensions de la vie sont en guerre – et les enfants, doivent jouer dans le périmètre défini par les barbelés. Le jeu, transfiguré par la douleur, devient le sacrifice de plusieurs générations qui ont été à jamais marquées par la guerre. Cette cérémonie évoque de manière critique l’artifice et les conséquences violentes des croyances – en les limites, les frontières, l’appartenance de la terre. Or, le corps de l’artiste est sublime et il est blessé par ce barbelé censé le protéger : c’est ce qui rend cette vidéo presque insupportable. La beauté absolue de ce corps entrain de transmettre un message clair : son intégrité physique est menacée par la violence et l’artificialité de la démarcation culturelle. Ceci, avec en fond les vagues qui éclatent sur les rochers : les frontières naturelles de la terre et de la mer. L’on ne sait plus si ce qui nous « dérange » est la douleur à même la chair ou la beauté de ce corps sans visage qui revendique la paix.

Autres images du corps : les collages surréalistes de Marcia Kure. Réalisés à partir d’images récoltées dans des magazines de mode, ces formes anthropomorphes rassemblent les signes des idéaux du corps et la pluralité des références qui caractérisent notre époque : nous sommes l’addition d’univers fantasmés, refoulés, oubliés, de perfections imposées à notre vision du monde par les médias. Psychanalyse de l’image corporelle telle qu’elle est véhiculée dans le quotidien, telle qu’elle nous inspire et nous met également mal à l’aise.

La phallocratie omniprésente

Quand en 1946 elle affirmait qu’« on ne naît pas femme, on le devient », Simone de Beauvoir ne pouvait s’imaginer qu’elle serait toujours d’actualité soixante-dix ans plus tard. Les revendications féministes ne sont en effet pas parvenues à changer l’état d’esprit ambiant et généralisé. C’est ce que s’acharnent à montrer les activistes Guerrilla Girls depuis les années 80 pour ce qui concerne le monde de l’art – et pas seulement. Un choix de leurs posters réalisés de 1985 à 2012 le confirme une fois de plus. Ces chiffres sont le résultat de recherches méticuleusement menées dans le monde de l’art : combien de femmes exposées par an et par grand musée ? Combien d’expositions monographiques de femmes et combien d’hommes ? Combien de références faites par une critique à des femmes et combien à des hommes artistes ? Les chiffres sont en effet choquants.

Dans un tout autre registre, Ma collection de proverbes d’« Annette Messager collectionneuse », est une anthologie des idées reçues (les mieux ancrées) sur les femmes – et pour certaines encore aujourd’hui : il s’agit d’un choix de proverbes français. La série fait partie des nombreuses collections rassemblées par l’artiste dans les années 70. Elle les a brodés sur des carrés de tissu blanc. Nul besoin de commenter sa propre action : la phallocratie caractéristique des clichés, des « évidences », des « blagues » et de l’inconscient collectif est évidente. Et la provocation est d’autant plus réussie, car le choix de l’acte populaire de la broderie pour cette œuvre, dans le contexte d’esthétique pure et minimaliste de l’époque, et dans l’objectif de dénoncer la tradition (actuelle et inactuelle) était, déjà en soi, un acte de subversion poétique osé.

Fantasmatiques sexuelles 

Second extrait d’une collection d’Annette Messager : Mes dessins secrets. L’album est composé de 76 dessins érotiques, dessinés par l’artiste sur des pages de carnets arrachées, des bouts d’enveloppes usées et d’autres morceaux de papier apparemment insignifiants de la vie quotidienne. Comme si l’artiste avait dessiné ses fantasmes inconsciemment, entre deux stations de métro ou en attendant son tour à la poste. Ou encore, comme si le lapsus avait éclaté entre deux mots socialement « corrects » en plein milieu d’une phrase « comme il faut », et dévoilé le non-dit, l’indicible et le fondateur de la conversation en question. Car les secrets dévoilés dans la vitrine, constituent les secrets du monde les mieux partagés : faire l’amour, fantasmer de faire l’amour, baiser, aimer, sucer, lécher, partouser, enlacer, exagérer, toucher, mordre, pénétrer, s’ouvrir, tomber, embrasser…

En quelque sorte, ces bouts de feuilles « pauvres » rassemblent les secrets de tout le monde, l’angoisse qu’ils soient dévoilés est détournée avec humour à travers le choix de l’artiste de montrer ses dessins dans une vitrine : on peut voir mais ne peut toucher… Qui oserait montrer avec tant d’humour, de sensibilité et de sincérité cet intime qui est le mieux partagé du monde ? Cette oscillation entre sexualité et amour, cette frontière si fragile entre plaisir, douleur, donation, humiliation, ouverture, expression et dévoilement… Ces dessins, deviennent des objets transitionnels (D.W. Winnicott) entre les fantasmes et leur expression sans refoulement aucun, sans honte, sans relâche, sans hiérarchie.

Le travail – d’artiste

Est-ce que le rôle de l’artiste, son « devoir », son travail, serait de dévoiler ce qui pose problème, ce qui est sous-jacent, ce qu’il faut dévoiler ? Monika Bonvicini opère le dévoilement à travers la destruction. Hammering out est une réaction à une affirmation, signée Auguste Perret, dont le machisme lui a fait violence : « Une fenêtre est un homme, elle tient debout ».? L’artiste travaille à mettre à nu les idéologies phallocratiques qui sont ancrées dans l’architecture en mettant en évidence la sexuation et la détermination culturelle de tout espace. Ici un mur est à abattre : il devient la métaphore des limites hiérarchiques entre les classes, les genres et une preuve des charges idéologiques sous-jacentes à tout contexte, tout espace, même – et surtout – lorsque celui-ci se veut « théoriquement » neutre. Le geste à la fois calme et décidé de l’artiste est conscient et réussi : les briques qui étaient cachées sous le béton sont dévoilées.

Le travail de l’artiste est également de mettre en garde. C’est ce que fait Nora dans la pièce « Qu’est-il arrivé après que Nora quitta son mari ou les piliers de la société » d’Elfriede Jelinek. Marge Monko associe un extrait de ce texte à des photographies d’archives de l’usine de produits textiles de Kreeholm. Dans cet extrait, qui est dur et savant à la fois, Nora met en garde les autres femmes de la fermeture proche de l’usine. Obnubilées par leur croyance inébranlable en la « mère protectrice » que représente pour elles la social-démocratie, elles ne peuvent la prendre au sérieux. La fermeté du texte s’unit aux images strictes qui déferlent et qui parlent. 

Ingrid WILDI MERINO en évoquant directement sa propre histoire – celle d’une expatriée chilienne contrainte de quitter son pays natal pour fuir les persécutions du régime Pinochet, arrivée en Suisse à l’âge de 18 ans et obligée de laisser derrière elle ses origines, sa langue, sa mère et de travailler – réussit a conjuguer l’universel et le personnel. Elle raconte sa propre histoire : elle commence son cheminement professionnel dans l’industrie et la restauration, peu à peu, elle fait ses pas, finance ses études d’art, elle représente son pays (la Suisse) à la Biennale de Venise en 2005 et enseigne à l’École des Beaux-Arts. Otra mirada a lo insignificante (Un autre regard sur l’insignifiant), 1982-2014 ; constitue la documentation de cette trajectoire. À chaque fois un texte et une photographie du bâtiment dans lequel elle travaille. Au fil des années l’architecture évolue, l’emplacement des bâtiments et la position sociale de l’artiste (ses moyens, la reconnaissance dont elle jouit) également. Un autre regard sur l’insignifiant est un travail sur la persévérance, la patience et l’endurance d’une personne qui s’est battue pour réaliser son rêve. Cette œuvre constitue non seulement une trajectoire autobiographique extraordinaire mais aussi une inspiration (prouvée !) pour celles et ceux qui osent encore rêver de l’apparemment impossible !

La nature, la culture et nos paysages personnels

Otobong Nkanga, avec ses installations, photographies, sculptures et performances interroge de plusieurs manières notre rapport aux ressources naturelles et au territoire. Son approche est caractérisée par sa volonté de remettre en question et de comprendre les histoires que l’on se raconte, telles qu’elles sont transmises par le corps. The Taste of Stone est pensé comme un paysage dans lequel on entre. C’est une installation faite de sculptures, photographies et textes (SMS reçus par l’artiste) ; à la fois hommage à la nature et à la manière de raconter une histoire, c’est un paysage de sensations, d’émotions et de mémoires dans lequel on entre comme dans un exercice de méditation. Un gravier au sol était sensé accompagner l’œuvre et créer cette conscience d’entrer sur un territoire marqué par quelqu’un d’autre (trace peut-être d’une conscience postcoloniale). Par ailleurs, entre enquête scientifique, recherche géologique, art et anthropologie l’œuvre est imprimée sur des pierres calcaires – dont la fragilité apparaît comme un choix. Le calcaire qui, lorsqu’il est « métamorphisé » pour reprendre le langage des géologues, s’élève au statut de marbre. Mais ici il n’est pas question de marbre, il est question de sédimentarité et de fragilité. Ce travail qui évoque en effet la fragmentation, la démarcation, le rejet, la crainte et le souvenir, la protection et la destruction ; est aussi une œuvre sur notre manière de voir notre propre vie, sur la conscience de vivre sur Terre. Ces pierres (qui figurent sur les photographies) pourraient avoir été ramassées lors d’une promenade à la plage ou encore être de grands rochers. L’on ignore leur taille réelle et peu importe : ce qui compte est qu’elles sont apposées sur ces « boudoirs », comme des icônes sacrées, comme des objets d’étude et surtout comme des fenêtres ouvertes à l’interprétation de chacun.

Les rapports entre théorie et fiction

Autre rapport extrêmement intéressant à la narration : celui d’Hito Steyerl qui est à la fois réalisatrice et théoricienne allemande. Son travail est un aller-retour incessant entre documentaire et fiction, ou plutôt entre la fiction qui documente une recherche et la documentation qui construit une fiction. Les nombreuses références – de Fassbinder à Chris Marker et Jacques Rancière – les va-et-vient entre les images d’archives historiques et personnelles, les citations d’extraits d’autres films constituent un ensemble, une narration complexe qui met en évidence la pluralité des réalités qui composent toute histoire et la complémentarité nécessaire entre des approches radicalement différentes, si l’on veut comprendre un cheminement dans sa totalité… November documente la vie d’Andrea Wolf, autrefois actrice de films de « kung fu » féministes, devenue une icône du PKK.

Les mots, comme slogans qui explosent

Plan for Victory d’Élodie Pong, cette phrase taguée en rose sur la neige et qui soudainement explose par une avalanche met en évidence la radicalité, la subversion et la poéticité du travail de l’artiste – mais aussi du travail des commissaires de cette exposition. « Plan for Victory » est une expression utilisée par le gouvernement Bush lors de la troisième guerre du Golf… Charge idéologique du slogan, puissance des mots comme images et comme promesses, éphémère (et peut-être insolence) de certaines actions artistiques (graffiti) qui pourtant marquent, libèrent et font sens même après leur disparition. Tout peut s’écrouler, d’un moment à l’autre, même les idéologies soutenues par les appareils d’État ou du marché les plus puissants : tout peut s’écrouler quand la nature toute puissante réagit ou quand les revendications sont faites. Les mots ont en effet un sens et un pouvoir – la manière de les utiliser également ! Tout est dit (et en rose !). Humour, conscience de soi et conscience du monde.

Alerter et résister

C’est alors le geste de tracer une ligne tout en ayant conscience de son orientation et du fait même de tracer cette ligne (en histoire de l’art, dans l’espace public, dans un débat) ; c’est aussi l’acte de garder un dessin fait sur une vieille enveloppe ; celui de casser le mur qui constitue une frontière physique ou mentale à transgresser ; et c’est aussi le fait de choisir de montrer des œuvres qui vont déranger son public par leur intransigeance. Alerter et résister : tel est le concept de plusieurs trajectoires qui font ici rhizome, qui s’entremêlent et s’enrichissent les unes les autres dans une exposition dont la pluralité, la complexité et la densité référentielles sont l’expression de deux trajectoires différentes qui se rencontrent ici, pour créer ce projet, ce cheminement en train de se faire. Comme sur les croix de Lotty Rosenfeld, il y a ici rencontre et collaboration pour une exposition dont la subversion et la poéticité sont bouleversantes : Vigilance ! Une intervention artistique peut éveiller. Et oui, une œuvre d’art peut changer le monde.

Sofia Eliza Bouratsis



[1] Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, « Champs », 1996, p. 34.